Alors, je suis presque sûr qu'en latin, Grec se dit Graecus, mais comme je suis nul en latin, c'est peut-être faux.
Le jour où on lui amena le nouvel esclave pour qu'elle lui apprenne les bases, Lux était plus que surprise. Avec le temps, elle avait appris à ne pas douter des décisions de Balthazar, mais là, y avait quand même de quoi s'interroger. Même si le jeune homme avait peut-être eu un corps apte à l'entraînement fut un temps, il était évident que le voyage avec le marchand d'esclaves l'avait plus qu'affaibli. Et amaigri, pas qu'un peu même. Si ça ne tenait qu'à elle, elle l'aurait d'abord revigoré un peu avant de faire de lui une arme, mais ce n'était pas à elle de décider ça. En tout cas, au moins elle comprenait pourquoi c'était elle qui avait hérité de cette tâche: à part un maladroit « excusez-moi », le petit nouveau ne savait rien de latin. Même son prénom aux sonorités bien trop étranges était directement passé à la poubelle, remplacé par Graecus. Elle avait un peu de peine pour lui, quand même. On ne respectait même plus son nom... mais qui l'aurait fait, après tout ? Ce n'était qu'un esclave.
Elle avait beau placer en Balthazar une confiance aveugle, telle un chien de garde, ce choix était vraiment surprenant. Après tout, Graecus n'avait-il pas toutes les « qualités » nécessaires pour être l'un de ces si discret.ète.s esclaves qui servaient Mars, son père, dans cette demeure ? Il avait le profil nécessaire, en plus. Analphabète, étranger, avec cette lueur de colère dans le regard et ce corps qui aurait pu être celui d'un guerrier mais qui s'était révélé terriblement fragile, avec ces os si saillants. Plus qu'un coup de couteau et lui aussi il aurait la langue coupée, afin d'éviter qu'il dise des choses bien trop indiscrètes à propos de son nouveau maître.
Mais visiblement, les choses se passeraient différemment. On voulait qu'elle redonne à Graecus le corps de guerrier dont il était tout à fait capable. Qu'elle en fasse une arme susceptible de faire trembler les adversaires et de séduire les foules. Il était rare qu'un gladiateur devienne esclave, mais, quand ça arrivait, les spectateur.rice.s se l'arrachaient, espérant qu'il leur confie un bout de son histoire si tragique.
En tant que femme, elle avait dû passer par là. Tout le monde s'attendait à une histoire palpitante de sa part: que ferait une femme dans l'arène, sinon ? Alors elle romançait son enfance difficile, se plaignant de l'absence d'une mère dont, en réalité, elle n'avait pas souffert plus que ça. À ça, elle ajoutait des milliers d'autres petits détails qui ensemble, formaient une fresque presqu'épique, tant son ami le poète lui avait appris comment bien raconter une histoire. Comment séduire celleux qui l'attaquaient. Et ça marchait. Ça marchait atrocement bien, même.
Parce que sans ça, les gens seraient trop horrifié.e.s devant ses actes de violence, devant comment elle faisait couler le sang dans l'arène.
Alors qu'elle lui apprenait quelques mouvements de base avec son bâton en bois bien plus lourd que le serait un jour son arme définitive, elle se demanda si lui aussi avait déjà succombé à Balthazar ou Marc. Elle savait que presque tou.te.s celleux qui résidaient ici y étaient passé.e.s -sauf elle, qui était dégoûtée à la seule idée de coucher avec son père et son amant, bien que les liens familiaux étaient un peu trop tordus, chez les dieux.éesses- et après tout, les deux hommes étant loin d'être repoussants, c'en était presque naturel. Elle savait que c'était presque toujours Marc qui les choisissait, et que Balthazar se pliait à ce qu'il voulait qu'il fasse. Même Isaac et Simon avaient succombé, plus d'une fois.
Enfin, vu la manière dont Graecus se portait en présence de ceux qui l'avaient acheté, on voyait bien qu'ils ne lui avaient encore rien fait. Sinon, il serait bien plus gêné ou même en colère que ça, c'était une évidence.
Lux trouvait son père et l'amant de celui-ci fort divertissants: en cette époque où l'homosexualité n'avait même pas de nom, et que la différence se faisait entre celui qui donnait et celui qui recevait, il était amusant d'essayer de deviner lequel de ces deux mastodontes était, aux yeux de Rome, dégradé.
Enfin bon, ce n'étaient pas vraiment ses affaires. Mais ce qui l'intriguait encore plus sur Graecus, c'était non seulement qu'il ne se soit pas encore fait déflorer par Balthazar et Marc, mais le tatouage de Mercure sur la cheville. Comme le signe d'un pacte, ou d'une appartenance. Et elle trouvait d'autant plus surprenant son achat. Visiblement, c'était Mars qui avait poussé Balthazar à l'acheter, car il ne l'aurait jamais fait sinon. Il était trop prudent envers les dieux.éesses.
« Tu te débrouilles bien, pour un nouveau ! Je comprends un peu mieux pourquoi Balthazar t'a choisi, maintenant. » (1)
Graecus haussa les épaules, comme il le faisait d'une manière presque systématique chaque fois qu'on lui parlait. Même quand on s'adressait à lui en grec, il répondait rarement, augmentant encore plus la confusion de Lux quant à son rôle. Il serait bien plus utile en tant qu'esclave muet qu'en combattant mais visiblement, Mars n'en faisait encore qu'à sa tête, Balthazar n'aidant pas, puisqu'il ne pouvait rien lui reprocher. Et dans tout ça, Graecus ne faisait rien pour éclaircir ses idées, se contentant de faire de son mieux pour, il l'espérait, gagner assez de force pour pouvoir riposter.
Prouver qu'il ne se laisserait pas marcher sur les pieds. (2)
1: Lorsqu'un personnage « parle en italique », cela signifie qu'iel parle dans une langue autre que le latin; dans ce cas-ci, le grec ancien.
2: Quelques paroles/pensées des personnages peuvent paraître dérangeantes (et ça sera bien pire parfois) mais il faut se rappeler que c'est leur mentalité, qui déjà n'en est pas une de 2022, et en plus, même si ce n'est pas le cas de Lux ici, quelques un.e.s outrepassent largement les limites de la morale et de ce qui serait la légalité, de nous jours. Je ne sais pas si c'est clair mais s'y a des soucis à ce niveau là je peux toujours tenter d'expliquer dans les commentaires.
VOUS LISEZ
"Béni" des dieux
RandomCante est un jeune homme aux ailes trop grandes pour son avenir. Il rêve de partir loin de son petit village et de découvrir le monde. Cependant, rien ne se déroule comme il l'avait prévu car après que les Romain.e.s aient mis son village à feu et à...