DIMANCHE 4 / 18 HEURES 10

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Ils déposèrent leurs sacs dans le couloir. Louis manquait de son entrain habituel, il tremblait comme une feuille et s'efforçait de le masquer, mais Ninon sentait sa fébrilité. Avant d'entrer dans le salon, elle passa une main douce dans son dos pour le rassurer. Elle le guida dans le séjour, là où le reste de la famille les attendait autour d'un café.

Voir ces visages familiers réunis autour d'une même table laissait une sensation étrange dans la poitrine de Ninon. Elle voyait si peu Rayan, et encore moins son père. Alors les deux assis en face de René et maman, dans la maison où ils avaient été autrefois une famille... L'étrangeté de la scène faisait courir un frisson le long de son échine.

Un tel tableau n'aurait jamais laissé supposer du drame qui venait d'avoir lieu, des cris et des larmes qui avaient secoué les dernières heures. Les tasses à café en céramique, la boîte à sucre en métal d'un autre siècle, la nappe à fleurs et son plastique transparent par-dessus. Le vaisselier mastoc en bois sombre, le plafonnier à franges jauni de la fumée de cigarette, les rideaux mauve en voilure. Dans ce décor rustique, les rires gras et les anecdotes burlesques avaient balayé les tensions. Les regards se plantèrent sur Louis. Il n'était pas très bien habillé, d'un tee-shirt blanc et d'un short de basketball, mais Ninon comptait à ce que personne ne lui tienne rigueur de sa tenue.

― Je vous présente Louis, mon petit ami.

Elle avait appuyé sur les derniers mots et regardé sa mère dans les yeux. Cette dernière ne dit rien, elle ne l'avait pas salué la première fois, elle ne changerait pas d'avis. La pique coula dans un silence embarrassant. Heureusement, on pouvait compter sur le bagou de son père. Il regarda sa montre.

― Eh bah, regardez ça ! 18 heures passées et on est toujours au café. C'est-y pas qu'on serait en train de perdre notre endurance ! René, sors les bouteilles.

René était un homme calme, qui autrefois, avait été le meilleur ami de son père. De ces années de complicité, il avait gardé une obéissance loyale – et sa femme, entre autres. Le beau-père, petit homme ratatiné et fatigué de la dernière année, se traîna jusqu'à l'armoire où il rangeait l'alcool. Rayan lança à Louis :

― Tu bois quoi ? Pastis ou Ricard ? Attention, y a une mauvaise réponse.

Louis glissa un coup d'œil, à Ninon, puis se risqua à dire :

― Ricard ?

― Ah ! firent les trois hommes en chœur.

― On en tient un bon ! s'enthousiasma son père. Viens, assieds-toi. Ninon, tu veux un truc.

Elle n'hésita pas.

― Oui, un grand whisky, sans glaçon.

Personne ne fit de commentaire, sa mère resta raide sur sa chaise. Ses lunettes pendaient à son cou, attaché par un cordon. Elle avait refait sa couleur récemment, ses cheveux flamboyant des mêmes reflets auburn que Ninon. Sa fille s'installa à l'autre bout de la table, juste en face d'elle. Elles ne s'étaient pas parlé sans se crier et Ninon comptait à ce que le bougon dure. Quand on vivait avec un parent étouffant, on apprenait vite que faire la gueule était le meilleur moyen de se venger. Ninon voulait appuyer là où ça faisait mal.

René posa un verre devant Louis et remplit la moitié d'alcool anisé. Le jeune homme écarquilla les yeux et jeta un regard affolé à sa petite amie.

― Tu veux de l'eau ? s'enquit René de sa voix fluette.

― Euh... Pourquoi pas.

Il lui versa une lichette, histoire de diluer. Le Ricard était de la même couleur que le plafonnier. Au tour de Ninon, René n'osait pas être si généreux. Le liquide ambré coula dans le verre, il s'arrêta.

L'écumeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant