Chapitre 1: La veille de l'appel

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La peur... ce sentiment incontrôlable et pourtant si dévastateur. C'est elle qui nous construit, qui nous anime de notre naissance à notre mort, car on façonne notre monde sur le seul fait de ne pas la croiser, de ne pas lui faire face. Ce n'est pourtant pas un signe de faiblesse que d'avoir peur, il s'agit simplement de la nature humaine. Pourtant de tout temps des hommes ont tenté de la vaincre, et cela sans jamais y parvenir. Ici commencent les faiblesses de la nature humaine. Les hommes en veulent toujours plus, ils se défient les uns les autres pour faire partie de l'élite, des meilleurs.

Imaginons un monde bien changé d'aujourd'hui, un monde où l'on doit se battre pour survivre. Bien sûr, on doit toujours se battre pour vivre mais imaginez un instant une société où l'erreur n'existe pas, ou en tout cas un monde où vous devez être parfait pour pouvoir vivre à votre juste valeur. Posez-vous la question : est-ce-que vous pourriez survivre dans un univers où vous seul avez les clés de votre survie ? Dans une société si individualiste que vous ne devez-vous fier qu'à vous-même, qu'à votre instinct ? Dans un monde où personne ne vous aime réellement ? Car ce monde existe, il suffit juste de l'imaginer au plus profond de vous et il ne vous paraitra pas si loin que ça.

Cette nuit-là, une douce brume berçait les corps chauds de ces enfants, de ces adolescents...Tout semblait calmes, la lune brillait dans le ciel comme à son habitude, les étoiles s'agitaient dans l'immensité abyssale...Bref, tout vous aurait semblé normal, pas différent de d'habitude en somme. Cependant, il fallait tendre l'oreille plus encore. Là, au milieu des corps endormis, vous ne l'entendez pas ? Essayez encore de plus près, vous allez l'entendre. Ça y est, vous discernez enfin ces coups de tambours qui grondent au loin, mais vous n'y êtes toujours pas. Ces coups ne provenaient en réalité pas des tambours mais de cœurs, ceux qui battaient dans la poitrine des enfants, tous, sans exception, à l'unisson. Vous pensez surement qu'il n'y a rien d'anormal à cela ? En effet, mais ce que vous n'avez pas encore aperçu ce sont leurs yeux, pensifs, peut-être avec un brin de peur également mais surtout de l'excitation. On dit souvent que les yeux sont le reflet de l'âme, et bien si vous les aviez vus en face, vous en seriez persuadé car ce regard là on ne l'oublie jamais. Ce regard-là annonçait le commencement des jeux. Vous ne savez surement pas de quoi il s'agit mais ne vous inquiétez pas, vous allez vite comprendre. Il suffit de se plonger encore plus profond dans votre imaginaire. 

Prenez de la hauteur, montez un peu plus haut encore, assez haut pour pouvoir contempler ce qui reste à présent de la Terre. Là, en plein milieu du désert, dans ce qui pouvait s'appeler autrefois l'Amérique, l'avez-vous vu ? Malheureusement, ce que vous apercevez est maintenant la seule et dernière source de vie qu'il existe, et ce lieu n'est pourtant pas très glorieux. Des hommes ont dépéri pour se l'accaparer. Bien sûr, ce qui marquait le plus, vu d'ici, restait ces immenses murs qui séparaient et divisaient le monde en quatre. Ces quatre murs formaient quatre sociétés différentes, avec des volontés antithétiques, des objectifs discordants mais surtout une qualité de vie nettement opposée les unes des autres. De là commençait le système des Divisés. Un système certes pas égalitaire mais qui garantissait la paix depuis des centaines d'années. Pour les plus faibles ou du moins les moins chanceux, ce système n'apportait que souffrances et douleurs. Seulement, pour les autres, ils ne pouvaient rêver d'une meilleure qualité de vie. En effet, il s'agissait d'un accord entre les quatre tribus qui faisaient prospérer calme et sérénité dans un monde pourtant bouleversé.

Vous souvenez-vous des adolescents qui dormaient tout à l'heure (ou en tout cas qui essayaient de dormir) ? Et bien, ces enfants étaient à l'apogée de leur vie d'insouciance. Ainsi, demain, avait lieu l'appel. Regardez ce jeune garçon à côté de vous, peut-être avait-il l'air naïf, peut-être semblait-il innocent. Mais sachez qu'il ne faut jamais se fier aux apparences. Et pour cause, Mahé, cet adolescent de seize ans, faisait également partie des appelés. S'il y avait en lui une partie angélique, sachez qu'elle est partie depuis bien longtemps. Le monde des hommes est cruel, il ne faut pas l'oublier. Et ce petit garçon, là, à côté de lui, il n'avait que neuf ans et pourtant sa vie allait également être bouleversée. Regardez sa main dans celle de Mahé, son grand frère. Tout vous parait désormais plus évident, n'est-ce pas ? Si vous n'avez toujours pas compris, alors, écoutez donc ce que ces deux enfants ont à se dire.

- Tu sais, demain, je ne serai plus-là, dit Mahé d'une voix calme.

Le petit garçon acquiesça. Il le savait depuis toujours. On lui avait dit qu'un jour son frère se ferait appeler et qu'alors il ne pourrait compter que sur lui-même. Peut-être qu'il avait toujours ses parents, mais ceux-ci étaient dévastés par le chagrin depuis des lustres, en fait, depuis aussi longtemps qu'il se souvenait, sans doute sa naissance. Dans une vie normale, l'accouchement d'une femme était merveilleux mais dans un monde aussi morose, donner la vie n'était pas un cadeau, loin de là.

- Je vais me battre, ajouta Mahé. Je te jure que je vais survivre et que je ferai partie de ceux qu'on a toujours détestés, de l'élite !

Peut-être essayait-il de se persuader lui-même comme il tentait de rassurer Loan. En tout cas, celui-ci lui répondit :

- Je sais que tu feras de ton mieux. Je ne veux pas que tu finisses comme nos parents !

- Quand je serai plus là, promets moi de prendre soin d'eux.

Il lui sourit.

- Ne t'inquiète pas pour eux, je m'en occuperai, comme tu l'as toujours fait.

- Dans ce cas, je sais ce qu'il me reste à faire.

Dans tout le dortoir, on entendait les personnes se faire des confidences. Pendant très longtemps, ils avaient redouté ce moment. Il leur avait paru tellement loin pendant des années et voilà que maintenant, il ne leur restait plus que quelques heures à vivre ensemble. Certes, il y avait une chance sur cent pour que certains d'entre eux se revoient. Seulement, pour la plupart, il était question d'un adieu définitif. Les parents étaient également présents dans la pièce mais ils restaient à l'écart. Ils n'avaient plus le courage de rester avec leurs enfants, la douleur était trop forte. Savoir que l'on allait perdre son enfant, c'était son doute la pire des douleurs. D'ailleurs, ceux de Mahé étaient à l'écart eux aussi, à quelques mètres seulement. Ils les regardaient. Jamais ils n'oublieraient ce moment. C'était marqué pour toujours dans leur mémoire.

En une fraction de seconde, la mère de Mahé brisa ce silence qui semblait pourtant éternel :

- Penses-tu qu'il y arrivera ? 

Son visage se croisa avec celui de son mari.

- Je l'espère.

Ses yeux sombres scrutaient à présent les courbes de Mahé qui s'agitaient dans la nuit. Puis, il ajouta :

- ...mais je n'en suis pas convaincu.

Puis, plus rien, que du vide, plus un souffle, plus un bruit, cette phrase avait tout emporté sur son passage. Cinq mots, il suffisait de seulement cinq mots pour détruire un rêve, et peut-être une vie. Imaginez vous à la place de ces parents, pendant des années vous êtes restés dans le déni. Lorsque vous êtes tombée enceinte, vous n'aviez qu'une seule chose en tête : il subira la même chose que moi ! Voilà ce qu'avaient pensé ces deux parents quand ils avaient su que cette jeune femme à l'époque était enceinte. Aujourd'hui, elle était brisée par le désespoir, par le travail d'une vie dure. Etant petite, elle s'était toujours imaginée faisant partie des meilleurs, de la haute société. Maintenant, elle était usée par la vie et surtout, elle ne se faisait plus de désillusions sur le monde. Elle savait ce qu'il en était...enfin, pour elle, car elle avait toujours pensé que ses enfants y arriveraient dans la vie. Mais regardez ce visage creusé par la famine, le travail, observez ses habits déchirés et souillés. Seulement là, vous pouvez enfin comprendre ce que cette mère ressentait à ce moment-là, la veille de l'appel de son premier fils. Elle avait pour l'heure deux fils, dans quelques heures, elle n'en aurait plus qu'un et dans sept ans...Voilà la triste vérité du système des Divisés, malheureusement cette doctrine était désormais encrée dans toutes les têtes. L'idée de la remettre en cause n'était malheureusement plus au goût du jour.

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