Ash Donovan et les Porteurs de Lumière Tome 2 Les Résistants et les Combattants

Chapitre 1 - Hommage

- Joey Dawson n'avait que vingt et un ans. Vingt et un ans, vous vous rendez compte à quel point c'est jeune ? On ne devrait pas mourir à vingt et un ans. À cet âge, on doit profiter de la vie, avoir des amis, des amours, des projets incroyables. Mais Joey a été privé de cette chance. En réalité, il en a été privé dès sa naissance, comme tous les enfants élevés dans la Zone 0, ces enfants destinés à travailler toute leur vie dans ces galeries d'exploitation obscures et dangereuses, à ramper dans la terre humide pour récolter les précieux cristaux de Tri-quartz qui vous permettront, à vous autres habitants des zones supérieures, de vous chauffer, de vous éclairer, de faire fonctionner vos divers appareils... En somme, de vivre. Joey est mort pour vous aider à mieux vivre, comme un grand nombre de ses camarades. On l'a sacrifié pour cela. Vous vous en fichez, vous ne le connaissiez pas. Moi non plus, jusqu'à ce que son amie la plus proche ne rejoigne la Rébellion et ne me demande de lui rendre enfin l'hommage qu'il mérite. Alors, non, moi, Hubertus Thunderhead, ancien membre du Conseil, je ne m'en fiche pas. Cette histoire m'a touché. Ému aux larmes. Et j'ai tenu ma parole. Je permets aujourd'hui à la jeune Ash Donovan de pouvoir dire adieu à son ami, une dernière fois. De pouvoir lui dire adieu avec dignité. Comme il le mérite. Savez vous, chers habitants des zones supérieures, ce qu'il advient de la dépouille d'un ouvrier mort dans les galeries ? On la jette dans une fosse commune, comme un vulgaire déchet. Sans recueillement. Sans funérailles. On jette les restes humains par-dessus les restes de vers impropres à la consommation, comme un monceau d'ordures ordinaires. Et lorsque la Fosse est pleine, on brûle tout. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un tas de cendres. Voilà ce qui se passe dans la Zone 0. Voilà comment on y traite des êtres humains, des femmes, des hommes, des vieillards... Des enfants. Vous pensiez le Système juste ? Il ne l'est pas. Maintenant, s'il vous plaît, je vous le demande au nom de l'humanité, prenez quelques minutes, quelques secondes même de votre vie pour rendre hommage à Joey Dawson. Rendez-lui hommage et ouvrez enfin les yeux. N'acceptez plus toutes ces abominations. Révoltez-vous ! Rejoignez la Rébellion

Un instant de silence suivit le discours du leader du mouvement révolutionnaire, l'ex-Conseiller Hubertus Thunderhead.

Le visage pâle et les yeux rougis par les larmes, je m'avançai au milieu du cortège formé par mes camarades rebelles, pour allumer la flamme symbolisant l'âme de Joey Dawson, mort pour servir un système absurde et injuste.
Je saisis la torche embrasée que me tendait mon ami Max Winterfall et la déposait dans l'âtre, des larmes me brouillant la vue.
La flamme se dressa aussitôt devant moi, puissante et sauvage.
Nous la regardâmes brûler sans prononcer un seul mot, chacun d'entre nous se sentant trop bouleversé pour dire quoi que ce soit.

Joey pouvais enfin reposer en paix, et c'était pour moi la seule chose qui comptait vraiment. Je n'avais pas besoin de m'exprimer pour que justice lui soit rendue. Thunderhead l'avait fait pour moi. Son discours avait été filmé et serait diffusé clandestinement sur les écrans de télévision des trois zones. J'espérais que les gens réagiraient, en prenant connaissance de l'histoire tragique de mon meilleur ami. J'espérais qu'ils comprendraient que notre monde était cruel, que ceux qui le dirigeaient n'avaient aucun scrupules et traitaient les plus miséreux comme des esclaves. Que cela faisait bien trop longtemps que ce Conseil composé de tyrans lâches et cupides profitait de nous et nous privait de toute liberté.

Me sentant un peu plus sereine, je tournai lentement les talons pour m'éloigner d'un pas lent, la tête basse, mes mains fourrées dans les poches ventrales de mon ample sweat-shirt noir à capuche. J'ai avais remonté la fermeture éclair jusqu'à mon menton pour enfouir mon nez dedans comme dans une écharpe. Malgré la douce chaleur qui se dégageait du brasier, j'avais froid et je frissonnais. Sans doute à cause de la fatigue, ces derniers jours n'ayant pas été de tout repos pour nous autres rebelles. Le Haut Commandeur Lorelei Hammer, une femme impitoyable qui dirigeait d'une main de fer le bras armé du Conseil, cette organisation militaire et scientifique qu'on appelait la HAAS, nous avait fait peu de temps auparavant une véritable déclaration de guerre. Elle nous avait prévenus dans son message vidéo : la Milice Suprême qu'elle avait rassemblée avec sa nouvelle et terrifiante unité d'élite, composée de super-soldats génétiquement modifiés au visage recouvert de métal, ne nous laisserait plus une minute de répit. La Zone 1, appelée également Zone du Milieu puisqu'elle se trouvait entre la Zone 0 et la Zone 2 ou Zone du Dessus - ainsi était divisé, par un système de plates-formes s'articulant autour d'un puits gigantesque : le Boyau, ce monde souterrain dans lequel nous vivions - nous avait jusqu'ici offert un refuge, avec ses tunnels à l'abandon. En effet, ces vestiges d'un projet d'expansion industrielle avorté en raison de l'instabilité des parois rocheuses à cet endroit s'était avéré le lieu idéal pour abriter notre quartier général. Sans que la HAAS ni le Conseil, ce gouvernement incertain aux aspirations aussi tyranniques qu'archaïques qui n'était actuellement plus composé que de deux membres, s'en soit rendu compte, le Conseiller dissident Hubertus Thunderhead avait réussi à rassembler des ouvriers et techniciens rebelles pour bâtir la Zone Secrète. Dissimulée des regards grâce à la mise en place tout autour de brouilleurs énergétiques, invention remarquable d'un ancien chercheur de la HAAS, le Professeur Lee, cette zone était demeurée jusqu'à ce jour indétectable par les radars ennemis. Mais cela ne durerait pas éternellement, l'illusion prendrait fin tôt ou tard, et il nous fallait nous préparer à un face à face violent avec les armées de Hammer. Nous étions organisés et courageux, mais cela ne faisait pas tout. Nous avions besoin d'être soutenus par les habitants des différentes zones, d'avoir le peuple avec nous. Le discours de Thunderhead à propos de la mort tragique de Joey n'était pas neutre. C'était, à travers cet hommage poignant à mon meilleur ami, un véritable appel à l'insurrection et à la résistance.