Le Draineur Fou

Chapitre 3 - Les Monstres Bizarres

La Terre – Cité du Vatican – Année 2003

Ricardo Valente n'avait quasiment pas dormi de la nuit. Quatre heures, peut-être cinq, tout au plus. Bien propre sur lui, mais encore mal éveillé, l'évêque se mit en marche pour sa réunion matinale. Sa peau fraîchement rasée l'irritait à cause de l'eau de Cologne qu'il s'était appliqué. À chacun de ses pas, il sentait l'anxiété élargir le terrier qu'elle creusait inlassablement dans son esprit. Cette intruse avait profité de son sommeil cahoté pour s'immiscer sournoisement, par le biais d'un rêve lambda qu'elle changea en abominable cauchemar. Tel un cruel parasite avide d'un hôte à ronger, elle ne le lâchait plus depuis son réveil abrupt. 

Ricardo redoutait le rapport que Bumper s'apprêtait à lui narrer. Le dernier en date remontait à environ trois mois, et il s'avéra désastreux. Qu'en serait-il de celui-ci ? Nouvel espoir, ou énième catastrophe ? Le père Valente allait bientôt connaître la réponse, même s'il envisageait déjà le pire. Non pas que Ricardo soit d'une nature bilieuse, loin s'en fallait. Mais mis bouts à bouts, les tragiques évènements passés constituaient autant d'avertissements pour justifier sa méfiance. À l'optimisme aveugle, il favorisait le réalisme modéré, y compris sous ses aspects les moins attrayants. Ricardo se plaisait à affirmer que le pragmatisme et la religion pouvaient cohabiter sans nécessairement engendrer de paradoxe. Selon lui, il suffisait simplement de savoir faire la part des choses.

Vêtu de son traditionnel costume d'ecclésiastique, l'évêque évoluait dans les luxuriants jardins du Vatican. Il emprunta en silence un sentier qui sinuait entre des pins résineux et des parterres fleuris. Juste au-dessus de lui, à l'image d'une taupe surgissant hors de sa tanière, le soleil reprenait sa place dans un ciel encore brumeux, l'imprégnant de son œil orange et chaleureux. Ricardo plaça un bras devant sa mine fatiguée pour se protéger des rayons scintillants. Dès qu'elle fut à sa portée, le père Valente se réfugia à l'ombre d'une haie de hauts cyprès particulièrement bien taillée. Les jardiniers responsables de ce travail d'orfèvre pouvaient se féliciter réciproquement. 

En chemin, il croisa des gardes suisses qui patrouillaient côte à côte, facilement identifiables grâce à leurs uniformes de gala, ainsi qu'aux hallebardes qu'ils empoignaient fièrement. L'homme d'église reconnut Hans Landers et Patrick Dufour. Deux jeunes recrues qu'il eut loisir de découvrir durant les nombreuses épreuves d'admission. Le duo de mercenaires le salua solennellement en s'inclinant à sa rencontre. L'un comme l'autre avait appris de source sure que Ricardo s'était porté garant de leur enrôlement en les recommandant directement auprès du Souverain Pontife. Rien que pour cela, ils éprouvaient beaucoup d'affection et de reconnaissance envers le vieux chrétien.

— Allons, mes fils, inutile de vous montrer si procéduriers, tempéra Ricardo en les invitant à se redresser. Comment vous portez-vous ?

— On ne peut mieux, mon père, répondit Hans. Puisque vous êtes-là, permettez-nous de vous prévenir que Son Eminence le Cardinal Scarpia souhaite s'entretenir avec vous. Il vous attend dans la Tour Saint-Jean.

— Merci, mais n'ayez crainte, je suis déjà au courant. À présent, je dois vous laisser. Vous savez combien Son Eminence est à cheval sur la ponctualité. À plus tard, mes fils.

— Que la paix du Christ soit sur vous.

Sur ces paroles qu'ils voulaient bienveillantes, les deux militaires s'en retournèrent à leur chapelle pour y célébrer des messes quotidiennes. Soudain, un vent criard plaqua son étau sur Ricardo. L'obligeant à presser une main sur sa calotte violette pour éviter qu'elle ne s'envole. Au loin, il aperçut l'auguste tour où son supérieur l'avait convoqué. Masquée à mi-hauteur par une barrière d'arbres touffus, elle se tenait à l'écart des autres constructions du Vatican, rasant presque l'un de ses murs frontaliers. Isolée telle une pestiférée, elle avait conservé son aspect médiéval, avec sa forme arrondie et ses remparts garnis de créneaux.