Chapitre 2 - Un Phare dans l'Obscurité

148 5 24
                                    


La Terre – Littoral Corse – Année 2003

Des nuages noirs s'amoncelaient au-dessus de la baie de Capandola. Plongeant le paysage rural et apaisant dans une pénombre de fin de journée. Le vent soufflait fort entre les montagnes, tandis que les branches d'arbres gigotaient comme des pantins aux fils invisibles. À intervalles saccadés, le ciel assombri laissait échapper d'inquiétants grognements caverneux. Semblables aux cris rauques d'un dragon titanesque dissimulé derrière la masse brumeuse. 

Esseulé sur une route cahoteuse, un motard longeait les falaises qui délimitaient le golf. En contrebas, l'écho du ressac et des vagues se fracassant contre les récifs lui parvenait, à peine couvert par le vrombissement de son bolide. Le pilote se dirigeait vers une colline surmontée d'un phare. Les premières gouttes de pluie s'écrasèrent sur la visière de son casque, alors qu'il atteignait la tour hexagonale. D'une hauteur de vingt mètres environ, elle était peinte dans une alternance de bandes rouges et blanches. En quelques secondes, un véritable déluge déferla sur le cap nord de l'Île de Beauté. Engloutissant le motocycliste qui pestait intérieurement contre le mauvais temps. De façon générale, la Corse était régulièrement assimilée à un soleil de plomb. Mais lorsqu'une giboulée venait à s'abattre, elle pouvait provoquer de violentes inondations.

C'est dans ce genre de cas que vivre dans les hauteurs a ses avantages, songea Robert en coupant le moteur. Le garage affichait complet, déjà encombré par le bric-à-brac du gardien. Mais l'auvent qui surplombait la porte d'entrée ferait un excellent abri de fortune. Robert avait pile la place pour y glisser son véhicule. Ça ne plaira pas au vieil Orsu de voir ma bécane en plein milieu du passage. Remarque, il n'avait qu'à virer son bazar de la remise. Sur cette note ironique, il attrapa ses sacs de provisions et disparut à l'intérieur du bâtiment vertical. 

Des lampes pendantes au bout de câbles fins éclairaient un vaste couloir au sol carrelé. À cause de l'accumulation de poussière et de toiles d'araignées, elles ressemblaient à de petites méduses desséchées, soutenues par leurs filaments. Des portes fermées, toutes identiques, s'étendaient de part et d'autre du corridor. Robert choisit d'emprunter celle qui menait à la cuisine. Une odeur alléchante de charcuterie chatouilla ses narines. Assis derrière une table maladroitement disposée au centre de la pièce, Ours-Pierre entamait un filet de lonzu en épluchant des pommes de terre. Ses gestes étaient lents et minutieux, presque machinaux. À tel point qu'on aurait dit un automate enveloppé sous une couche de peau artificielle.

Rare représentant d'une profession en déclin à mesure que les phares devenaient automatiques, Ours-Pierre tenait la baraque depuis cinquante ans. Toujours vaillant, le poids des années ne semblait avoir aucune emprise sur lui. Physiquement parlant, il rendait fièrement hommage au terrifiant animal composant son nom : une barbe brune et broussailleuse, un corps massif et très musclé, sans oublier le tatouage de grizzli enragé qui recouvrait son dos. À le voir ainsi, on pourrait facilement le confondre avec un catcheur aguerri. Même la soixantaine passée, il restait bigrement impressionnant. Cependant, malgré son gabarit intimidant, le gardien était une bonne patte. 

Robert le salua en levant amicalement son bras et entreprit de ranger ses courses. Ours-Pierre s'émerveilla devant toutes les choses appétissantes que son compère avait rapportées. De la coppa, du brocciu, des figatelli, du sanglier, et même une grosse rascasse bien fraîche. Le repas du soir s'annonçait succulent. Outre ses talents pour la pêche et la chasse, préparer des plats savoureux demeurait la principale spécialité du barbu. Tandis qu'un énième tubercule jaunâtre passait entre ses mains rugueuses, Ours-Pierre se figea dans son mouvement. Quelque chose venait de lui revenir en tête.

Le Draineur FouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant