Prologue

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Six ans plus tôt

Se triturant nerveusement les mains et front collé contre la vitre de lé'une des fenêtres du long couloir vide, une jeune adolescente dans la fleur de l'âge regardait en contrebas ses camarades s'amuser. En réalité elle ne prêtait guère attention à la scène lointaine, son esprit étant focalisé sur ce qui se passait à quelques mètres d'elle, chose qu'elle ne pouvait voir à cause de la barrière murale. Elle ne désirait qu'une chose, c'était d'écouter la conversation qui se tenait entre la directrice et cette femme dans la soixantaine.

S'approchant à pas de loup, elle scotcha son oreille contre le bois froid. Les deux voix ne lui parvenaient pas nettement mais elle tentait de capter l'essentiel.

— Bien Madame Stone, j'ai lu votre dossier et tout semble être en ordre. Il ne vous reste donc plus qu'à signer ici... et ici. Mais avant tout, êtes-vous sûre de votre choix ?

L'adolescente devina aisément le sourire faussement doux que devait arborer la directrice en ce moment même. Cette dernière poursuivit sur sa lancée.

— Elle a eu une enfance difficile et assez... perturbée même si cela ne semble pas l'avoir trop affecté. En plus elle demeure l'une de nos enfants les plus âgées.

Cette femme voulait donc l'adopter? pensa Sorrow les lèvres tremblantes en s'écartant subitement de la porte. Son cerveau se mit en ébullition tandis qu'elle réfléchissait à toute vitesse. Et comme d'habitude la directrice ajoutait son grain de sable afin de dissuader les potentiels parents. Ça marchait toujours. C'est comme si elle ne voulait pas la voir quitter les murs de l'orphelinat. Peut être aimait-elle lui donner des corvées à longueur de journée.

Comprenant qu'elle ratait une partie de la conversation, elle écouta de nouveau, mais plus attentivement cette fois-ci.

— ... Vous savez mon mari et moi avons toujours souhaité avoir un enfant mais cela nous était impossible. Alors nous nous sommes tourné vers l'adoption il y'a quelques années. Là encore notre démarche n'a jamais pu aboutir. Et malheureusement il est décédé il y a quelques mois.

Sorrow pouvait sentir la voix de la dame trembler vers la fin, signe de sa douleur d'avoir perdu un être cher.

— ... Et quand à son âge, cela ne me dérange pas. Je ne suis plus vraiment jeune, je n'aurai pas assez de force pour m'occuper d'un enfant en bas âge. De plus lorsque nous avons discuté toutes les deux, elle m'a semblé si adorable!

L'adolescente de l'autre côté de la porte eut un fin sourire en rougissant, n'ayant pas l'habitude des compliments. Elle pensait la même chose de la gentille dame mais n'osait trop y croire. Après tout, combien de personnes étaient venues ici, lui avaient donné de faux espoirs en discutant avec elle pour ensuite choisir d'autres enfants et repartir avec eux? Elle avait perdu le fil du compte.

Toujours en pleine réflexion, elle ne les entendit pas approcher. La porte s'ouvrit et elle sursauta en tombant nez à nez avec Madame Stone. Celle-ci lui sourit instantanément, les yeux remplis de bienveillance. Les cheveux grisonnant de Betty Stone, sa tenue simple mais classique, son visage ridé mais doux, elle imprima tous ces détails dans son esprit, y compris ce merveilleux collier en pierre couleur jade qu'elle portait autour du cou. Puis elle retomba dans le regard gris de Betty, cette couleur lui rappela celle de sa défunte mère. Oh oui, elle avait à peine deux ans lorsqu'elle avait profité pour la toute dernière fois du regard de sa mère mais elle n'aurait jamais pu oublier leur profondeur et leur intensité.

La directrice les rejoignit, interrompant le contact visuel qui était entrain de se nouer.

— Ah, tu es là toi!

Sorrow acquiesça en déglutissant.

— J'avais cru que tu serais partie. Mais c'est bien que tu sois restée jusqu'à la fin, ainsi ça m'évite de te chercher partout dans l'établissement, fit-elle un peu sèchement. Tu vas partir avec Madame Stone. Il faut que tu ailles préparer tes bagages.

— Pour de vrai?! demanda la jeune fille les yeux brillant de larmes de joie.

— Pour de vrai, lui répondit la plus âgée en lui caressant les cheveux et devançant Madame Hoskins qui était sur le point de faire une remarque cinglante à la pauvre jeune fille.

— Oh! Merci, merci, merci!!! cria-t-elle en sautillant et en jubilant sous le regard des deux femmes, amusé pour l'une, sévère pour l'autre.

— Eh bien, qu'attends-tu donc?! Vas récupérer tes affaires dans ta chambre et dis au revoir aux autres si tu le souhaites. Rendez-vous devant la grille du grand portail dans quinze minutes.

Même si elle n'aimait pas la directrice car elle était trop sévère, sorrow lui était reconnaissante de lui accorder ce petit temps pour dire adieu aux autres.

— Attendez, les arrêta Madame Stone. Si elle doit dire au revoir à ses amies, autant lui donner plus de temps. Je ne suis pas pressée.

— Oh non Madame je-

— Appelle-moi Betty mon ange.

— Betty..., hésita telle après avoir jeté un coup d'œil nerveux en direction de la directrice qui avait les lèvres pincées de mécontentement. Quinze minutes suffiront largement, j'ai peu d'affaires et pas beaucoup d'amies.

Et c'était vrai. Ses vêtements rentreront dans un seul sac et elle ne comptait dire au revoir qu'aux jumelles Clara et Éva, ses seules amies avec qui elle partageait la même chambrette. Elles allaient lui manquer. Mais quitter cet endroit était son désir le plus cher et pour rien au monde elle ne cracherait sur la chance qui lui souriait aujourd'hui.

Les laissant seules, elle se hâta de tout finir avant que le délai ne s' épuise. Autant éviter de faire mauvaise impression à Betty dès le jour du départ. À pas de course et à bout de souffle elle arriva ensuite dans la cour son sac en main, réajustant sa vieille robe terne. Betty posa une douce main sur son épaule tandis que ma directrice se tenait derrière elle, droit comme un piquet.

— Es-tu prête ma petite sorrow?

— Oui Mada... Betty, se rattrapa Sorrow.


— Bien, Madame Hoskins ce fût un plaisir.

— Au revoir Madame Stone, répondit-elle en lui serrant la main. Quant-à Sorrow, tu as intérêt à bien te tenir.

La concernée pâlit sous le ton menaçant et hocha la tête avec raideur sans l'affronter du regard. Évidemment qu'elle allait bien se tenir, elle avait tant rêvé de ce moment.

Dans la voiture qui les conduisait de Waltham à Boston, Sorrow crut de nouveau en l'avenir aux côtés de sa nouvelle mère qu'elle bombardait timidement de questions.


Sorrow : une troublante rencontreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant