Chapitre 2- poulet roti et livres papier

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Déconnexion : 21 h 03, lieu : centre de formatage, Amercia.

​Amalya fuit rapidement ce lieu qu'elle déteste. Elle n'a pas confiance en ses supérieurs et est emplie de craintes à chaque fois qu'elle se connecte au Parallèle. Son corps d'humaine reste là, vulnérable. En accédant au monde numérique via Tatsuki, son corps de chair reste inactif. Aucun incident ne s'est produit au centre de formatage, contrairement à d'autres endroits dans lesquels des corps ont été dissociés de leur alter ego numérique. Cependant, Amalya n'est pas rassurée. Sa connexion est cryptée et son corps sous clef dans son bureau personnel, mais personne n'est à l'abri d'être dissocié ou de se faire voler un organe, par exemple.

Elle court dans les rues des blocs d'habitations, le long de Venice beach. Des containers empilés forment des immeubles bien ordonnés. Les célèbres canaux ont, depuis longtemps, été asséchés et ne reste que le souvenir d'un temps dépassé. L'air marin aurait pu faire flotter ses longs cheveux verts derrière elle, mais le vent, comme tous les phénomènes naturels, sont dirigés par les Unités et cela fait bien longtemps que plus aucune brise ne circule dans Los Angeles. Bloc 2723, elle grimpe rapidement jusqu'à la porte de son logement, espérant éviter les non-numériques qui errent autour de chez elle.

​Les non-numériques sont telles des âmes errantes ; délaissées par la société. Les gouvernements des cinq Unités veillent à ce que les populations respectent scrupuleusement les règles afin de garantir la paix. Dans le Parallèle, un gouvernement supplémentaire sert d'œil aux cinq Unités. Il leur rapporte tout ce qui se passe dans son propre univers. Dans les deux mondes, les mêmes règles en matière de crimes coexistent, mais c'est l'individu humain qui est sanctionné. La punition ultime est la suppression de l'alter ego. L'accès au Parallèle n'est ainsi plus possible. Sans identité numérique, devenant des non-numériques, les personnes sont condamnées à une vie d'errance. Elles ne peuvent plus accéder à un emploi dans le Parallèle pour subvenir à leurs besoins. Elles n'ont plus qu'une demi-identité et n'ont plus rien pour survivre si ce n'est leur corps humain. Le peu d'emplois accessibles dans le monde réel nécessite des autorisations et documents difficiles à obtenir. En général, ce sont des robots ou des intelligences artificielles qui s'occupent de ce qui ne peut être fait dans le Parallèle.

​Souvent, quelques non-numériques traînent dans les quartiers de Venice. Amalya connaît la majorité des squatters aux alentours. Du fait qu'elle leur donne souvent un peu de nourriture lyophilisée, ils ne lui font aucun mal, mais ici non plus elle ne se sent pas en sécurité. Elle croise Jo et le salue d'un signe rapide de tête tout en continuant d'avancer rapidement. Ce soir, elle n'a rien à offrir et entend déjà la voix rauque du vieil homme lui demander quelque chose à se mettre sous la dent. Grâce à l'empreinte rétinienne, elle ouvre la porte de l'un des nombreux containers et rentre en coup de vent. La pièce est simple ; ses murs sont occupés par de grandes étagères bancales. Sur leurs rayons sont entassés divers livres papier, quelques produits de cosmétique, des plantes synthétisées, vestiges d'un passé où il en existait des vraies, et une grande baie vitrée qui donne sur l'océan. Un large fauteuil mauve réside au centre de la pièce unique et divers écrans longent le mur à droite qui débouche sur une minuscule cuisinière high-tech. En face de l'entrée, devant la baie vitrée, se trouve un lit rond avec un édredon léger, mais moelleux. Ses couleurs rappellent les cheveux de Tatsuki. Amalya se réchauffe un repas sous vide : poulet rôti. Elle n'a jamais pu goûter ce mets qui lui semble délicieux. La viande animale véritable est réservée à l'élite, car l'élevage de bétail coûte cher. Maintenir en vie des troupeaux dans un environnement qui n'a plus rien de naturel est une expérience complexe. Accéder à une nourriture fraîche est impossible pour les personnes comme Amalya. Le monde a tant changé en deux cents ans... Les animaux et les plantes sont élevés dans des bulles de climat afin de recréer leur milieu naturel. Ne subsiste que la végétation synthétique, éternelle, figée sous le soleil brûlant.

​Amalya s'assoit face à la baie vitrée, un livre sur les genoux. Hunger Games de Suzanne Collins est l'un de ses romans favoris ; il lui fait penser un peu à sa vie et l'héroïne l'inspire. Katniss est une battante, elle se porte volontaire pour entrer dans un jeu qui ressemble étrangement à l'Ultime Week. Les dirigeants se seraient-ils inspirés de cette dystopie ? Amalya se questionne souvent à ce sujet. Elle finit par s'endormir, les pages cornées et déchirées sur la poitrine.
Les livres papier n'existent plus, depuis l'Ultime Guerre. Dépassés, ils sont jugés inutiles et désuets. En vérité, ils ont été supprimés afin que la population ne puisse plus accéder à un savoir non contrôlé par les gouvernements. La culture, l'information et la connaissance sont distribuées uniquement par les dirigeants. Les auteurs, s'ils existent encore, sont contrôlés et ne peuvent produire que des documents digitaux affichés dans les centres-villes. Aucun savoir n'est disponible dans les logements individuels. Les Unités espèrent ainsi créer un nouveau monde dans lequel serait exclus les ethnies, les religions, tout autant que l'art et toutes formes jugées extrêmes de culture. De toute façon, le papier n'est plus fabriqué. Le digital a remplacé tous les supports précédents. Dans les blocs pauvres, comme ici à Venice Beach, la population possède quelques bouquins et autres impressions. Ils les conservent à l'abri des regards par peur de se faire sanctionner. Ces bouquins leur offrent une parenthèse de liberté grâce aux histoires qu'ils renferment.

Code erreur 410Où les histoires vivent. Découvrez maintenant