1. Augustin

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Dis, Augustin, qu'est-ce que ça fait de mourir ?

Désolé, ma question est un peu malvenue. Tu n'as certainement pas envie qu'on te rappelle cette douleur qui embrase ta poitrine ; cette lourdeur qui accable ton vieux cœur fatigué ni même ce sol froid qu'ont percuté tes genoux en tombant du rockingchair.

Ta respiration est devenue difficile, ton souffle haletant.

Tout ton corps cris de détresse.

Tes mains fripées serrent furieusement tes vêtements à l'odeur nauséabonde. Tu tentes, par ce geste misérable, de contenir la douleur qui te fait languir. Tu t'accroches au contact rugueux et piquant qu'offre ce vieux pull en laine que tu as toujours détesté. Pourquoi l'as-tu gardé, alors que tu ne l'aimes pas ? Est-ce parce qu'il s'agit d'un cadeau d'Elle ? C'est le dernier qu'elle t'a fait avant de s'en aller. Le dernier avant qu'elle ne t'abandonne pour l'au-delà, comme tu veux. Ce n'est pas comme si l'après-vie manquait d'appellations, après tout.

Tes yeux s'écarquillent et ta tête se relève subitement.

Ah, Dahlia.

Tu as essayé de la chasser loin de ta tête durant ces vingt dernières années mais tu n'y es jamais parvenu. C'est parce que même morte, elle reste l'amour de ta vie. Peu importe le nombre de rencontres que tu as fait, elle est toujours restée là, bien au chaud. Chaque jour, chaque nuit qui passe, elle te hante. Un peu comme un fantôme, en somme. Ce n'est pas ta faute si tu ne peux pas la chasser loin de ta tête. Certains souvenirs sont si gravés, à même la chair, que même Alzheimer ne peut les atteindre.

Tes pupilles noires retracent le sillon d'une fissure qui longe la plinthe du mur. La peinture est jaunie, vieille. Tu n'as pas vu l'intérêt de la changer car tu t'es toujours dit que tu allais bientôt mourir. Les humains ne font pas de vieux os et tu pensais que toi aussi, le cancer te prendrait dans ses bras. Mais il n'est jamais venu. Tu as vécu vingt ans dans cet espoir.

Il n'y a pas que les murs qui ont besoin d'être remis en état. Les carreaux de la fenêtre aussi. Ils sont poussiéreux et si sales que tu ne peux même pas voir à travers. Mais tu devines que dehors, le ciel est pluvieux.

C'est l'automne.

N'est-ce pas en automne que tu as fait sa rencontre ?

Allez, petit Auguste, ferme tes yeux.

Ferme-les et souviens-toi.

Souviens-toi de Dahlia, souviens-toi de ta vie.

Tu te souviens de tes rêves d'enfants ? Tu voulais devenir un courageux pompier qui braverait les flammes d'un grand incendie vermeil. Ou un médecin, comme maman, pour pouvoir guérir les bobos avec des bisous magiques. Ou policier, comme papa, pour chasser les vilain monstre de sous le lit des enfants. Quand tu disais cela, tes parents souriaient toujours. Ils t'ébouriffaient les cheveux en te disant que c'était bien, que tu serais un héros. Tu ne savais pas ce qu'était un « héros » mais comme papa et maman avaient l'air heureux en disant cela, tu supposais que c'était génial et clamait dans la cour de récréation et aux professeurs que tu serais un héros plus tard.

Cette innocence qu'ont les enfants, tu ne l'as pas connu longtemps. Elle a été brisée le jour où tu as vu ta maman étalée sur le béton, baignant dans une mare de sang écarlate. Raide, blanche comme la peinture du mur du salon. Tu croyais qu'elle dormait, alors tu as essayé de la réveillé D'abord en l'appelant doucement et fasse à son manque de réaction, en la secouant du plus fort que tu pouvais en criant des « maman » déchirants.

Ta détresse faisait tellement peine à voir qu'un des pompiers t'as amené ailleurs, pour plus que tu vois ce cadavre sur la chaussée. Il t'a expliqué que maman avait eu un « accident », qu'elle avait été blessée grièvement et qu'elle était partie depuis longtemps. Même les bisous magiques ne pourront rien faire pour elle.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant