Laura

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L'aube se levait.
Elle se levait sur la Terre pour la réveiller, en douceur, dans la rosée.
Mais l'aube se lève plus tôt pour d'autres.
Et l'aube, bien qu'elle soit d'un orange doux et chaleureux, peut aussi être d'un rouge sanglant.

Laura a, ou avait, seize ans. Elle était frêle, jeune, et peut-être était-elle belle. L'histoire ne nous le dira pas, car ses lunettes d'un noir de nuit sombre lui couvraient en permanence le visage. Non pas qu'il fasse beau temps à longueur de saisons, mais parce que ses yeux avaient tant à cacher. Beaucoup à dire, des dires qui n'auraient pas plu ou pas été entendus.

Laura avait peu d'ambitions. Pas beaucoup de culture, peu de paroles soutenues, une pointe de sociabilité et beaucoup de timidité. D'une nature réservée et rêveuse, on ne la comprenait pas. Ou plutôt, on n'essayait pas de comprendre. Et lorsque l'on ne comprend pas quelqu'un, on le met à l'écart.

La ville, pourtant, et ses habitants, Laura leur portait beaucoup d'affection. Elle était bruyante et calme, sombre et claire, ensoleillée et pluvieuse, renaissait ou gardait ses rides : elle était pleine de contrastes. Nous l'avons dit, Laura avait peu d'ambitions, mais beaucoup d'imagination et une envie passionnelle de vivre. Vivre heureuse, par l'art, dans une grande ville contrastée.

L'art était plus qu'une passion, c'était un don inné chez la jeune enfant. La peinture, précisément, lui conférait un bonheur suprême et animait les yeux des passants, qui félicitent souvent en silence. Elle dessinait dehors et s'inspirait de l'air qui courait. Elle peignait par traits vagues et presque abstraits. Puis, petit à petit, on distinguait des formes. Et des bâtiments, des fleurs, des couloirs, des rues, des lampadaires, des oiseaux, le ciel, la terre, les gens qui courent, ceux qui marchent, et ceux qui aiment, naissaient sur la toile. Parce qu'elle traduit des émotions dans ses peintures, Laura.

Enfin, elle traduisait.

Parce que Laura n'était plus d'ici, plus de cette ville et plus de cette Terre où l'aube caresse les heureux vivants et secoue les âmes malheureuses.

Laura, en rentrant chez elle, vivait dans un monde bien plus sombre et bien moins heureux. Y régnait les odeurs de l'alcool, de la cigarette et du sang. Y régnait la peur, la crainte, et le silence absolu de celui qui a tant à dire mais qui préfère sauver son être plutôt que de sauver les autres. L'égoïsme humain que l'on hait mais que l'on ne peut vraiment détester, car nous la contenons tous en nous.

Cette famille de peur et de violence n'avait pas commencé par la naissance, elle n'était pas présente depuis les premiers jours de Laura. Non, cette destruction avait commencé par la mort. Un petit frère et tendre fils décédé, dans sa mare de sang et de cambouis, un cœur craquelé qui diffuse du poison dans les veines et embrouille les idées. Le père s'était effacé, il avait abandonné sa fille aux griffes de la mère qui s'était abandonnée elle-même pour ne laisser place qu'à la douloureuse rage de l'impuissance.

Ils étaient tous morts avec lui.

Mais pas Laura. Sous les coups, les pleurs, l'odeur enivrante des drogues, la pestilence poisseuse du sang, de nouveaux coups et des hurlements, elle continuait à sourire. Parce que son frère, de son temps de vie, était très souriant et aimait la ville. Il aimait la peinture.

Il aimait Laura, et ses parents.

Alors, comme une seconde âme qu'elle devait protéger, Laura continua de s'aimer et d'aimer ses parents. Son père qui dormait à longueur de journée, sa mère qui faisait passer sa souffrance pour de la colère. Puis elle.

Et, le jour où le coup fut de trop et que la frêle enfant lâcha, que son corps bleuté et rougeâtre s'affaissa sur le sol, que la mère laissa enfin une larme couler et que la frustration qu'elle pensait évacuer en frappant fut plus importante encore après avoir perdu sa fille, Laura continua de sourire.

Elle regarda son bourreau et lui sourit.

Elle sourit comme le petit enfant qui était parti avant elle, coincé sous le métal brûlant de la voiture incendié, et dégoulinant de l'essence qui s'était échappé du moteur défectueux,

avait souri.

avait souri

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dis-moi ton nom.                  ꙳⋆༄ 𝐓𝐄𝐗𝐓𝐄𝐒Où les histoires vivent. Découvrez maintenant