51 | Tu comprendras un jour.

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Le temps aura filé en un battement de cœur, et c'est plus âgée de cinq ans que j'ouvre les paupières. Allongée sur le sol tendre de la forêt d'Eroly, j'esquisse un sourire puis prends une lente inspiration, satisfaite. Aux alentours le chant des oiseaux est devenu anormalement haut, alors je réprime un petit rire en m'asseyant pour observer la scène que je devine parfaitement. Brindel est assis en tailleur, et la petite fille qui l'imite tandis qu'il tient ses doigts tourne sa tête vers moi dans une moue émerveillée que je ne peux que reconnaître, puisque c'est la même que la mienne. Loaf est allongé contre elle, tandis que Nerad se promène à quelques pas de là.

— Maman écoute, j'y arrive ! s'exclame-t-elle, plus enchantée que jamais.

Je me lève pour les rejoindre, aussi fière qu'heureuse d'assister à ce moment.

— Je n'ai jamais douté, Ciloë !

— Je suis content pour toi ma chérie, ajoute Brindel avec l'air ravi de celui qui a rempli sa mission d'une main de maître. En se relevant pour me faire face, il saisit mon bras avec douceur.

— Impatiente ? me demande-t-il.

— Je suis prévisible, c'est vraiment terrible ! râlé-je en réaction.

Oui, j'ai hâte, il m'a manqué !

Il se retient de faire le moindre commentaire moqueur alors que Ciloë nous attrape chacun une paume pour nous entraîner vers la maison de ses grands-parents en sautillant.

— J'ai faim ! Allons préparer un goûter !

Vous êtes perdus ? Ne vous inquiétez pas, tout va s'éclairer au fil de mes mots. Par contre, j'ai tant d'éléments à vous raconter que j'avoue ne pas savoir par où commencer, ni même si un seul chapitre sera suffisant pour conclure cette histoire. Donc prenons les choses comme elles viennent, voulez-vous bien ?

***

Pour l'instant, ma mère – désormais nommée mamie Nayla – sort un gâteau aux pépites de chocolat de son four tandis que Ciloë piétine d'impatience à l'idée de le dévorer. Cette recette est de loin sa préférée, ainsi que celle de son père d'ailleurs. Oui. J'ai bien parlé de pépites de chocolat. Étrange, dans mon monde, vous dîtes-vous ? Et bien, pas tant que cela désormais ! Je vais vous expliquer. De toute façon, difficile de terminer ce livre sans un petit point politique, n'est-ce pas ? Il nous faut donc remonter au moment même de ma chute dans le torrent. Sachez que pendant qu'Estéban me cherchait désespérément, la nouvelle des projets du roi Satos – ainsi que de sa mort de ma main – s'est répandue à la vitesse du vent sur notre continent et même au-delà des mers. Puis alors que tous se demandaient mon lien avec sa monstrueuse idée, tandis que le roi d'Angü rapatriait de force son hériter en confiant les recherches à ses hommes, mon époux – ayant tout appris de la bouche de la sorcière – a simplement dévoilé mon secret. Ce que je suis a été révélé au grand jour. Oui. Je me promène aujourd'hui en toute quiétude à Eroly en tant que Faëra. Et absolument personne n'a peur de moi. De nous. Car nous sommes des protecteurs, que tous les gens savent que je leur ai épargné la guerre et la souffrance planifiée par Àrony le fou. Loïc a repris les rênes de son royaume, nouant immédiatement les accords de paix qui étaient nécessaires pour qu'il obtienne la confiance des différents peuples de notre continent. Le nouveau roi Satos est juste, bon, ainsi qu'un ami sincère. Bref. Nous parlions de chocolat à la base, non ? J'y reviens. En fait, j'y venais lorsque j'ai dit que la nouvelle de mon geste était partie par delà nos terres. En effet, les autres continents – Zoera et Malas – ont appris avec effroi ce à quoi ils avaient échappé grâce à mon sacrifice, et – entre autres choses – des accords commerciaux inédits se sont noués entre les trois continents. Bien qu'éloignés les uns des autres, le besoin s'est finalement fait sentir de créer une unité. C'est donc ainsi que le chocolat a fait son apparition à Aeros. Inutile de vous préciser que celui que nous avons serait estampillé « issu de l'agriculture biologique et du commerce équitable » chez vous, car il n'existe pas d'autre façon de faire ici, ce qui ne changera jamais puisque rien d'autre ne devrait exister. Bon. Fermons la parenthèse politique, vous voulez bien ? Je déteste toujours cela ! En plus, la porte vient de s'ouvrir sur l'être cher que j'attends depuis des heures, donc je meurs d'envie de me précipiter dans ses bras. Je vous abandonne un peu, excusez-moi.

Lorsque la forêt chanteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant