chapitre premier

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Une couronne de fleurs séchées trônait sur la commode en séquoia.

De vulgaires pissenlits jaunes, mêlés à de fragiles marguerites. Le bec de gaz derrière elles en avait accéléré le triste assèchement. Le soleil qui se couchait par-delà les collines lançait plusieurs traits de lumière orange. Ils striaient la pièce au travers des carreaux poussiéreux de la cage d'escalier. 

Camélia tournait lentement les pages de son livre. Ses bouclettes auburn lui tombaient sur le front comme de la fine étoffe et ses petits pieds allaient d'avant en arrière comme le ferait l'aiguille d'un métronome.

Couchée sur le flanc et se perdant entre les coussins du sofa, elle passait le temps comme elle le pouvait aux côtés de Tybalt, Desdémone et Hermia. Les poissons rouges veillaient consciencieusement sur elle depuis leur vase. 

Toc. Un caillou blanc frappa contre le carreau. Camélia sourit, puis disposa une plume de paon en guise de marque-page, avant de déposer son livre sur la table basse.

Un second coup sur la vitre lui intima de se presser un peu. Elle se leva, souleva le loquet et ouvrit la baie vitrée. Il était là, vêtu de sa salopette havane et de son béret, fronde en bois à la main. Un sourire d'ange lui couvrait le visage.  

C'était son ange à elle. Raphaël.

Tous les jeudis soir, quand Camélia était seule à la maison avec seulement ses domestiques en cuisines, il venait lui parler. Elle n'avait alors plus peur de la solitude. Il lui faisait sortir la tête par la fenêtre avant de grimper habilement dans le grand saule du jardin. Une de ses branches était si proche de la chambre qu'ils pouvaient presque s'atteindre lorsqu'il s'asseyait dessus, si seulement leurs petits bras avaient été un peu plus longs.

— Hier, papa m'a emmené dans la forêt pour m'apprendre à chasser, tu sais. 

Camélia posa sa petite tête sur la paume de sa main, accoudée sur le rebord.

— J'ai tenu un fusil comme un adulte, dit-il d'un air noble. Et puis papa m'a aidé à le charger, puis à viser un oiseau. J'ai aussi tiré, pour de vrai !

La fillette afficha un air admiratif et il fut plus fier encore de son annonce. Elle voulait savoir s'il avait eu l'oiseau. Il le devina et esquissa un sourire plein de triomphe.

— Eh oui ! J'ai réussi à le toucher. C'était une très grosse perdrix, m'a dit grand-père.

Camelia frappa dans ses mains replètes, enthousiaste, riant des yeux. Il continua à lui raconter tout ce qui s'était passé durant sa semaine et elle l'écoutait attentivement tout en hochant la tête de temps à autre.

Et il lui narrait chaque détail. C'était comme cette scène, Roméo au balcon de Juliette qui laissait ses mots s'envoler. Pour Camelia, la passion entre eux et l'énergie qui emplissait l'air étaient similaires.

Mais Juliette était malade. Raphaël l'avait bien compris maintenant. Depuis la première fois qu'il lui avait parlé et qu'elle ne lui avait pas répondu. Il s'était énervé contre elle et l'avait faite pleurer. Depuis ce jour, il avait appris à regretter son geste, et il venait la voir une fois par semaine pour se faire pardonner. 

Une calèche cahota sur les pavés de la grande allée. Cela signifiait que les parents rentraient de leur club de bridge. Raphaël devait rentrer chez lui. Il descendit de l'arbre et, comme à chaque fois, retira élégamment son couvre-chef. Ce geste libérait ses cheveux ambrés. Enfin, il s'inclinait bien bas comme on le ferait pour saluer une princesse et Camélia amusée lui faisait un signe de main. Elle semblait toujours un peu attristée par son départ. Il lui promit de revenir la semaine d'après et comme à chaque fois, elle avait déjà hâte d'y être..

On a vidé les Enfers-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant