Le Garçon d'Été

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Cher Journal,

Je suis désolé de n'écrire sur tes belles pages que maintenant. Mais tu étais tellement beau; ta reliure et ta couverture d'un rouge profond, avec tes reliefs aux formes abstraites m'ont retenu pendant tout ce temps, il faut dire que mes amis t'ont bien choisis. Alors me voilà à quatorze ans, un vieux stylo en fin de vie à la main, fin prêt à me livrer à toi. J'espère que chaque mot couché sur ce papier restera secret et caché des autres, mais je peux te faire confiance, n'est-ce pas ? Yuta m'a dit que je n'avais pas à m'en soucier. Alors si tu me le permets, j'adresserai mes premiers paragraphes après celui-ci à quelqu'un d'autre. Mon ennemi, mon adversaire, mon malheur.

Chère horloge de malheur, œuvre du diable crée pour nous faire souffrir, nous enlever les choses les plus précieuse, et nous rappeler continuellement que tout est éphémère. Cher temps aux cliquetis incessants, simple création de l'Homme qui marque le début et la fin de tout, je veux vous dire quelque chose. Vous livrer ces pauvres mots qui tournent en moi depuis trop longtemps, qui pourront vous semblez bien trop surfaits, mais pourtant emplis de ma douleur.

Cher temps, je vous hais. Je vous déteste, toi et ta présence. Vous avez fais de ma vie un enfer, sans aucune pitié, depuis ma naissance. N'en avez-vous pas marre de vous acharner constamment sur moi ? Ne trouvez-vous pas que vous m'avez suffisamment pris ? Je suis presque orphelin, ma petite famille me déteste, et mes proches ne sont pas liés à moi par le sang mais par le cœur. Je souffre. Je pleure. Mes frères me disent d'être fort, de ne pas m'en soucier mais ça fait mal. De voir les autres heureux avec leurs parents, leurs petits frères et petites sœurs. Leurs grands-parents aussi. Je n'ai rien de tout cela, vous m'avez tout enlevé. Qu'ai-je fais pour mériter cela ? Je suis brisé de l'intérieur, comme le vieux vase de maman, qui reste sur l'étagère dans le salon, plein de poussière, le dernier souvenir que l'on ait d'elle.

Alors écoutez mes mots, Temps, écoutez les pleurs de l'enfant qui souffre de chaque seconde. Arrêtez cela. Je n'en peux plus, je me sens seul, j'ai l'impression d'être maudit et mon petit entourage en souffre, je le vois dans leurs yeux. Ne me faites plus souffrir s'il vous plaît, je vous en supplie. Donnez moi une pause, j'étouffe. L'envie de tout arrêter trotte depuis bien trop longtemps dans ma tête. Je veux tellement y mettre fin. S'il vous plaît, retenez moi, montrez moi que la vie vaut mieux que cela, que le bonheur existe.

Assis en tailleur sur le sol de sa chambre, Donghyuck laissa échapper un souffle tremblant qu'il ne pensait pas retenir. L'écriture incertaine, presque fébrile de l'enfant qu'il était faisait ressurgir en lui des milliers de souvenirs, par des vagues bien plus fortes qu'il ne l'aurait supposé. Il ne pouvait empêcher le passé de se rejouer dans sa tête, son pauvre esprit ressassant indéfiniment ces moments qu'il avait tant tenté d'oublier. Il aimait croire que la vulnérabilité dont il avait fait preuve autrefois l'avait quitté, mais à cet instant, le sentiment de noyade était bien trop imposant pour le nier, ce manque de contrôle le pourchassait et il s'en voulait incroyablement. Il voulait nier la vérité, celle qui lui disait que oui, il n'arrivait toujours pas à se maintenir à flot, la tête hors de ses souvenirs et d'avancer. La preuve était là, devant ses yeux, inscrites sur les pages jaunies par le temps de son petit carnet. Elle était là, visible à travers chaque caractère, prenant forme parmi les phrases, écrite en noir. Il secoua la tête, la gorge serrée, puis il tourna quelques pages avant de s'arrêter sur l'une d'entre elles.

Cher journal, cher Temps,

Ce mois-ci j'ai fais la rencontre d'un jeune garçon mignon. Cela fait bientôt trente jours que je le vois sur la plage, à jouer et à nager avec son petit frère. Tous les après-midis, il mange une petite glace rose, au glacier d'à côté, qui colore ses petites lèvres rouges. J'ai souvent eu envie de les toucher. Mais je sais que j'en ai pas vraiment le droit. Mais elles ont l'air si attrayantes, brillantes et roses sous le soleil. Je voudrais les embrasser. Et ses yeux, ils sont immenses tellement il les ouvre pour voir le monde. J'aimerais qu'il me regarde comme cela, comme si je signifiais le monde pour lui. C'est cliché, non ? Un peu trop rose pour moi, je pense. En tous cas, je m'étais promis que j'irais lui parler, mais bien sûr, le temps m'a rattrapé. Il part demain, il quitte Jeju et je ne le reverrai jamais. Je me sens vide, est-il possible que je retombe dans mon malheur juste à cause de cela ? Je me sens rechuter. Faites quelque chose s'il vous plaît. J'aimerais tellement le revoir. Et avoir enfin le courage de le connaître. Pouvoir répéter son nom à longueur de journée, le sentir rouler sur ma langue. Est-ce trop demandé ?

Le Garçon d'ÉtéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant