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« Onusa. . . »

Les larmes qu'avait retenues la reine Sigrid pendant plus de trois siècles roulèrent sur la peau de ses joues. Son corps était semblable en tout point à celui de sa progéniture : des hanches généreuses, une petite poitrine, un coup de girafe, mais surtout, une sagesse émanant de sa démarche, sagesse quelque peu troublée par les sentiments qu'elle laissait transparaitre. 

À son côté, le souverain Nihil la toisait, le regard indescriptible. Onusa remarqua que les traits de son visage, elle les tenait de lui. Elle avait les mêmes grands yeux émeraude, la même bouche pleine. La courbe de son nez était identique à celle de l'homme qui l'avait enfantée, ainsi que l'ondulation et la couleur de ses cheveux d'un noir de jais. Leurs cornes prenaient exactement la même courbe, leurs oreilles étaient toutes aussi pointues. La ressemblance était telle que personne n'aurait pu douter une seule seconde qu'Onusa fut la réelle princesse d'Alfheim. 

Sigrid se hâta vers sa fille pour la prendre contre elle, mais s'écarta ensuite maladroitement lorsqu'elle se rendit compte qu'elle ne lui rendait pas son étreinte. Son père, lui, se contenta d'un faible sourire bienveillant, bien qu'hésitant. 

« Je crois que nous avons à parler, tous les quatre. Seuls à seuls, commença l'aîné, faisant se retirer les domestiques.

 - Pekka a raison. Je crois que vous avez plusieurs choses à m'expliquer. 

- Naturellement, acquiesça le roi. Je te prie de nous suivre jusqu'à la salle du trône. »

Onusa n'y était encore jamais entré. La salle du trône, à ce que lui avait dit Swann, n'était ouverte que lors de grandes occasions, mais, apparemment, ses parents semblaient la considérer comme assez spéciale pour y accéder. Lorsqu'elle fut à l'intérieur, elle ne put s'empêcher d'admirer la prestance qui en émanait. Des fresques recouvraient des murs dans leur entièreté, le plafond était agrémenté de feuilles d'or en plusieurs points, mais le plus impressionnant restait les deux immenses fauteuils reposant sur l'estrade au fond de la grande pièce. Ils étaient de même taille, arborant chacun des formes complexes. Les sièges étaient de soie, les accoudoirs, recouverts de dorures. Onusa se rappelait avoir lu, à Asgard, que les elfes blancs ne montraient aucune différence entre le roi, et la reine. Les deux étaient d'une importance égale, tout aussi estimés.

Nihil prit place sur le trône de gauche, tandis que Sigrid s'asseyait à droite. Pekka, quant à lui, bien qu'il dut normalement siéger sur un trône plus petit, légèrement à l'arrière de ses parents, choisit de garder sa position, au côté de sa jumelle. Il voulait lui montrer que, quoi qu'il se passe, il serait là pour elle, et cela lui apportait un réconfort sans limite. Debout devant cette estrade où la toisaient un roi et une reine, elle se sentait comme un coupable lors de son procès. Il n'y avait pas de quoi, Sigrid et Nihil la considéraient avec tendresse, mais elle ne savait pas à quoi s'attendre. Durant toute son enfance, ils l'avaient traitée comme une souillure sur leurs vêtements. Elle avait du mal à se faire à l'idée qu'ils puissent éprouver une quelconque tendresse à son égard.

« J'ai besoin de réponses, Vos Majestés, commença Onusa. Pourquoi m'avoir considérée comme vous l'avez fait ? Vous auriez simplement pu m'expliquer. Bien que trente ans soit très jeune, j'aurais été capable de comprendre. Hors, me voilà à demi inconsciente, dans le jardin royal d'Asgard. Je savais que vous ne me portiez pas vraiment dans votre cœur, à ce moment-là, mais cet acte d'abandon était, à mon sens, d'une cruauté innommable. J'ai vécu seule, pendant près de trois cents ans, sans ami, sans famille. Et lorsque Pekka est arrivé, j'ai tout bonnement refusé de le suivre, parce que, pour moi, cela revenait à trahir le pays dans lequel j'avais évolué toute ma vie durant.

- Nous t'avons toujours portée dans notre cœur, assura Sigrid. Notre choix de nous comporter de cette manière avec toi était. . . purement stratégique. Nous voulions te faire le moins de mal possible. »

Onusa haussa un sourcil, tout en se retenant d'éclater d'un rire sarcastique. Comment osaient-ils lui servir cette excuse minable ? Même Pekka semblait abasourdi. Aller dire à quelqu'un que si l'on ne lui a jamais porté l'amour qu'un enfant mérite, c'était uniquement pour son bien, ça n'est pas la plus maligne des choses à faire.

« Veuillez m'excuser, mais votre explication me laisse à la fois dubitative et perplexe. Je ne comprends pas, expliquez-moi. 

- Il est vrai, je le concède, que nous n'avons pas vraiment pensé à toi, dans toute cette histoire, intervint Nihil. Nous avons cru que, si nous te traitions comme une personne que nous n'apprécions pas, la douleur de te quitter serait moins intense. Non pas que nous traitons mal nos ennemis, nous restons toujours courtois. Malheureusement, nous nous sommes lourdement fourvoyés. Ce fut pire encore. »

Onusa resta silencieuse. Elle ne savait que penser. Que devait-elle faire ? Elle était perdue. Et ce fut à ce moment-là, que Loki ressurgit dans son esprit. Il était le seul qui avait jamais pu l'aider à reprendre le fil de ses pensées, à se poser et à réfléchir correctement. Cependant, il fallait qu'elle se fasse une raison. Elle devait l'oublier. Elle savait que cette tâche serait ardue, mais elle n'avait pas d'autre choix.

Revenant à l'instant présent, elle releva la tête et toisa ses parents avec méfiance. Puis, dans un murmure, elle demanda :

« Je n'ai pu lire aucun détail de cette prophétie, sur Asgard. Pourtant, la bibliothéque est la plus riche des neuf royaumes.

- Nous ne pouvions nous permettre d'ébruiter un tel évènement. Combien de royaumes nous auraient attaqués ? Combien de nos hommes seraient morts, combien de nos familles massacrées ? Nous devons trouver le moyen de nous émanciper des méfaits d'Asgard au plus vite, ou nous en périrons, expliqua Nihil. Nous revenons des contrées du sud, où nous avons pu trouver des indices concernant la façon dont tu devras t'y prendre pour sauver notre peuple. 

- Cependant, nous avons également découvert que quelque chose d'inquiétant se profilait à l'horizon, reprit Sigrid.

- Comment cela ? Les régions du sud ont toujours été un lieu calme, s'alarma Pekka.

- C'est à cause du sol, Pekka. Il y a eu une faille d'énergie noire, expliqua Sigrid.

- J'ai l'impression que les elfes n'aiment pas tellement partager leurs secrets, je me trompe ? s'impatienta Onusa. Qu'est-ce qu'une faille d'énergie noire ? 

- C'est ce dont se servent les démons souterrains pour revenir à la surface, expliqua vaguement Nihil. Il y a des milliers d'années de cela, un combat a eu lieu sur les terres d'Alfheim. La dernière bataille que nous ayons connue. Les démons sont montés à la surface, ils ont réduit le pays à feu et à sang. Ils étaient dirigés par Laufey en personne. C'était un miracle que nos soldats soient des combattants hors pair. Si les démons ressortent aujourd'hui, c'est qu'ils sont sous le contrôle de la personne qu'ils ont élue pour maître. Et ce maître a apparemment décidé de s'en prendre à Alfheim. Le temps presse, tu dois mener tes recherches à leur terme rapidement. Il le faut. 

- D'après nos calculs, nous avons une moitié d'année avant qu'ils ne parviennent à sortir. La neige et la glace les ralentissent, continua Sigrid. Nous sommes désolés de te mettre autant de pression, mais le temps presse. Comme tu l'as dit tout à l'heure, la bibliothèque d'Asgard est la mieux garnie à notre connaissance. Tu dois partir pour cette contrée dès demain. Nous avons fait parvenir le message à la reine Frigga, elle t'accueillera comme il se doit et t'apportera tout l'aide dont tu as besoin. Pekka, tu accompagneras ta sœur. 

- Il ne pouvait en être autrement, assura l'intéressé. »

Onusa ne voulait pas y retourner, elle ne voulait pas se retrouver à nouveau aussi proche de Loki, mais fort était de constater qu'elle n'avait pas le choix. Alors, elle se dirigea vers sa chambre et prépara ses affaires, en même temps que Swann, qui, en qualité d'amie, l'accompagnait. 

Dark PrinceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant