Exilée

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Je suis draeneï. Dans notre langue, ce mot veut dire « exilé ». Mon peuple n'a pas choisi de s'appeler ainsi. Il n'a pas choisi de fuir. C'est ce que nous sommes, voilà tout.

J'ai passé la plus grande partie de ma vie dans ce vaisseau. À vrai dire, je n'ai qu'à peine vu l'extérieur. Nous apprenons à ne plus nous attacher aux choses ou aux lieux. Je suis née au milieu de ces cristaux, comme beaucoup des miens. Leur vibrance est pour nous comme une douce musique, un chant de sécurité qui nous fait l'effet d'un grand saut dans le vide lorsque nous marchons dans les terres étrangères, loin de leurs pulsations.

Car toute terre nous est étrangère.

Depuis petits, on nous raconte la légende d'un monde duquel nous serions originaires. Les Krokul, les Roués, parlent d'une époque avant le long voyage. Ils disent que nous vivions sur une planète, que notre peuple était grand... Trop grand. Qu'il a attiré l'attention de dieux, et que presque tous leur ont prêté allégeance.

Nous connaissons bien ces histoires. Ils semblent dire que c'est vrai, que ça s'est vraiment passé. Je ne sais pas. Cela semble si lointain. Comment vraiment savoir ? Et puis je ne sais pas si cela a de l'importance. Si vraiment nous étions devenus des démons au service de tragiques entités, alors je crois que je préfère ne pas me sentir lier à ces gens qui auraient vécu sur cette "Argus".

Il y a une partie de ces histoires cependant qui me fait m'interroger. Alors que tout espoir aurait été perdu, d'autres dieux se seraient manifestés et auraient alors sauvé certains de mon peuple, mais auraient laissé les autres sur la planète. Ils auraient fait monter mes ancêtres à bord de vaisseaux pour traverser le Néant. Ces dieux, ce sont les naaru.

Mes enseignements me l'ont appris ; les naaru nous ont apporté la Lumière. Ils nous ont donné le pouvoir de guérir, et de fuir encore. Chaque jour, je vois mon peuple se reconstruire un peu grâce à eux. Lentement, les fibres de Lumière dont ils nous baignent nous permettent d'avancer un peu plus. De survivre, sans endroit où aller. Pourtant, de ne jamais abandonner.

Quand je me promène parmi les couloirs calmes et les grandes salles de l'Exodar, je pense à notre futur. Je sais que nous garderons la foi en eux, quoi qu'il se passe. Nous l'avons déjà fait, sur Draenor. Notre refuge.

Quand nous avons débarqué, nous ne comprenions pas comment fonctionnait un monde. Pour la plupart d'entre nous, c'était la première fois que nous en voyions un. Il y avait tellement de vie, tellement de mouvement. Le bruit, partout. C'était quelque-chose d'indescriptible et de terrifiant.

Au début, je n'osais pas sortir du vaisseau. Nous étions nombreux dans ce cas. Mon peuple est brave, mais il faut comprendre que rien ne nous avait préparés à cela. Certains sont tombés très malades, d'autre sont devenus fous. Mais toujours, les naaru veillaient sur nous et nous aidaient à nous adapter à cet environnement. Ils nous ont permis de nous installer.

Plus tard, nous avons bâti des campements, puis ils se sont peu à peu transformés en villes. Nous avons connu les premiers contacts avec les races indigènes. Nous avons marchandé, prospéré. Nous grandissions.

Je suis devenue prêtresse. Offrant mon corps et ma foi pour guérir les miens. J'ai décidé de me livrer entièrement à la Lumière pour n'être plus que son outil et permettre ainsi à certain de trouver leur juste voie pour servir au mieux ce que nous construisions là-bas.

Sous la lumière protectrice des naaru, nous croyions à une vie qui nous avait été interdite depuis longtemps. Nous n'étions plus « Eredar », ceux qui sont les démons. Nous étions nés dans un nouveau monde où nous commencions notre histoire.

Mais vint encore une fois le temps de fuir. Nous avons dû remonter dans les vaisseaux pour repartir. Tout laisser derrière nous.

...

Je ne saurais expliquer quelle est la blessure qui atteint un peuple lorsqu'il abandonne ce qu'il croyait être sa maison. Vous pourriez voir les villes à feu et à sang, cela ne vous en donnerait même pas une idée. Draenor était pour nous une unique chance de devenir vraiment ce que j'appelle hypocritement un peuple depuis le début de mon récit. L'abandonner a été également abandonner l'idée de notre existence en tant qu'espèce. Nous n'étions plus.

Nous avons repris nos vies à bord du vaisseau, comme nous l'avions toujours fait. Mais même cela ne semblait plus nous être permis. Nous nous sommes crashés. Beaucoup sont morts. Quand nous sommes sortis, ici, en Azeroth, nous nous sommes fait traités de démons. Les habitants de cette planète nous chassaient. Juste retour des choses, j'imagine. Il n'a pas été facile d'apaiser ces contacts, mais nous y sommes finalement parvenus.

Mais nous ne sortions plus pour autant. Nous ne voulions plus croire en une nouvelle vie. Ces pierres nous abriteraient pendant un temps. Et puis, nous nous éteindrions avec elles.

Bien sûr, ça ne s'est pas tout à fait passé ainsi. Certains sont tout de même sortis. Mais moi je m'y refuse. Je ne veux pas voir un second Draenor. Plus de refuge pour les miens.

Ici nous vivons dans la lumière des naaru. Je ne peux que me réjouir de pouvoir malgré tout, vivre une existence heureuse. Je pense de moins en moins au futur et me dévoue entièrement à eux. Je me sens redevable pour ce qu'ils ont fait pour nous. Ils nous ont sauvés et grâce à eux, je peux aujourd'hui songer à fonder une famille. Je leur dévoue ma vie, et celle de l'enfant que je porte.

Mais quand je passe près du Siège du naaru, parfois je me demande : pourquoi nous ont-ils sauvés ? Quand j'écoute les anciens raconter comment ils nous sont venus en aide, je ressens une reconnaissance infinie, mais je ne cesse de me poser des questions. D'où viennent-ils et pourquoi n'avoir sauvé qu'une partie d'entre nous ? Qu'est-ce qui nous différencie des Eredar laissés sur Argus ?

Je me sens honteuse de me poser ces questions. J'aimerais simplement ne plus m'inquiéter et me plonger tranquillement dans leur étreinte. Mais je crois que notre histoire nous a rendu naturellement craintifs, et que nous avons peut-être perdu juste trop de naïveté. Les légendes d'avant le long voyage sont floues et soulèvent surement une question qui n'a pas lieu d'être. Mais cette question tourne encore et encore dans ma tête. Je ne peux la faire taire...

Ces naaru sont-ils vraiment différents des dieux desquels ils nous auraient sauvés ?

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