Par-delà les espaces infinis

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On appelait ça le chant des cristaux. Nous l’avions détecté un peu par hasard, en étudiant les pierres qui composaient l’armature extérieure de l’Exodar. Lors d’une sortie alors que le vaisseau voyageait encore, une sortie très délicate et qui avait demandé une longue préparation, nous avions entendu le son. Il semblait être suspendu dans l’espace, ne jamais s’éteindre.

Plusieurs de ces sorties furent nécessaires, mais nous avions fini par comprendre qu’il émanait du vaisseau lui-même, mais que plutôt que de se propager, il stagnait, vibrant presque éternellement, là où était passé sa source.

Là-haut, dans l’espace entre les mondes, une musique continuait d’exister au milieu du silence.

Un simple son. C’est tout ce que nous avions.

Nous devions partir.

Si la Légion était contagieuse comme mes recherches le montraient, il ne fallait pas rester sur cette planète une seconde de plus, et surtout, je devais avertir les draeneï de l’Outreterre que nous ne pouvions pas y demeurer. Azeroth, Draenor, elles avaient été corrompues comme tant d’autres avant elles. Il était temps pour mon peuple de trouver un nouveau monde sur lequel nous n’emmènerions pas la Légion. Nous trouverons une solution pour lui échapper.

Mon fils dans mes bras, j’ai traversé les hauts couloirs de cristal pour me rendre dans l’une des salles que nous dédiions à la recherche.

Elle était toujours là, intacte. La navette que nous avions construite pour pouvoir nous rendre à l’extérieur de l’Exodar afin d’étudier le Néant, semblait avoir été utilisée hier. Navette était un bien grand mot, elle ne pouvait accueillir que deux ou trois personnes et ne faisait pas plus de quatre mètres de long. Vu de l’extérieur, elle ressemblait à une réplique miniature de l’Exodar, reprenant sa forme particulière.

J’ai commencé le travail d’agencement des cristaux en me servant des notes que j’avais prises dans mon journal de bord lorsque nous préparions les sorties. Les schémas étaient tous rigoureusement répertoriés, mais ils ne me suffiraient pas pour ce que j’avais à faire.

Deux jours passèrent sans que je ne dorme beaucoup. Je plaçais chacune des pierres selon une géométrie stricte et m’aidais de mon ouïe pour connaître les positions qui pouvaient amplifier les résonnances. Je profitais également des moments calmes durant lesquels mon fils dormait, pour compléter le journal de bord laissé à l’abandon depuis mon départ pour Shattrath.

En relisant tout ce que j’avais écrit dans ce journal, j’en suis venu à me demander si ce que je faisais depuis tant d’année, si ce que nous faisions tous, avait le moindre but. La recherche. Toujours la recherche. Au final, qu’avons-nous trouvé ?

Toute ma vie, j’ai considéré la connaissance comme ce qu’il y avait de plus important. Pourtant aujourd’hui, je doute. Que nous a-t-elle apporté ? Elle nous a jeté dans un vide d’incompréhension. Elle nous a mis face aux immensités dans lesquelles nous existons à peine.

La recherche. Nous ne cherchons pas pour trouver. Au fond, nous savons qu’il n’y a pas de solution. Nous cherchons pour nous rassurer, pour que nos esprits soient occupés et ne se perdent pas.

Le vrombissement de la navette a fait trembler toute la salle. J’avais disposé certains des cristaux pour qu’ils agissent en quelque sorte comme des aimants. La Porte des Ténèbres ne menait plus à l’Outreterre, il ne restait désormais plus qu’une voie : le ciel. Les cristaux devaient se mettre en résonnance avec la musique dans l’espace. De cette manière, il serait possible de retracer la trajectoire de l’Exodar jusqu’à l’ancienne planète. Enfin ça, c’était la théorie.

Tandis qu’à l’intérieur de la navette tout commençait à trembler, mon fils a ouvert ses yeux et m’a fixé, calmement. Alors tout doute m’a quitté. J’ai vu dans son regard qu’il y avait ce que je cherchais partout ailleurs. Il y avait la vie, la Lumière, ce qui existe réellement. Mon corps s’est soudain fait si léger que je ne le sentais plus, il flottait. Nous venions de quitter la planète.

Les cristaux autours de nous se sont mis à briller si intensément que nous ne pouvions plus rien voir que leur miroitement qui courait sur nos visages. La Lumière nous guidait !

Une musique cristalline a empli toute la navette et tout s’est mis à vibrer. Quand nos yeux se furent habitués à la lumière, je vis au travers de cristaux moins opaques une sphère qui brillait autant que la Lumière elle-même et qui portait la même grâce que les yeux d’un enfant. Devant nous flottait Azeroth, parcourue de ses nuages, balayée de ses marées, et en son centre le grand maelström semblait tourner au ralenti, comme la planète elle-même qui d’un côté créait les matins, et de l’autre faisait tomber la nuit.

Et puis mes yeux se levèrent un peu et je vis tout le reste. Je vis l’infini. Parsemé partout par la Lumière.

Je n’ai pas vu Azeroth s’éloigner. Pas plus que je n’ai entendu le silence qui peu à peu s’installait dans la navette. Mes yeux sont restés fixés  sur ce que nous avions toujours appelé le Néant. Ils sont restés à contempler si longuement ce qui n’était en rien néant, que je me rendis compte du silence bien longtemps après que la dernière note nous ait quitté.

J’eus beau chercher le son, encore et encore, je compris que nous ne le retrouverions pas. Mais le temps s’écoula, les jours puis les semaines, et je ne m’en souciais plus, car la vue était belle et que la Lumière était avec nous. Que la Lumière était partout.

Peu importe le temps, nous finirons un jour par approcher une étoile. Et alors qui sait ce que nous y rencontrerons. Tout sera à commencer.

Peut-être que mon peuple est destiné à disparaître, mais chaque draeneï porte les siens en lui. Et s’il se trouve quelques draeneï qui se perdent loin de lui, qui comme moi, arriveront un jour, par hasard, sur un monde inconnu, alors ils pourront raconter leur histoire. Et mon peuple continuera de vivre dans les contes pour enfants sous les traits de ceux qui parcouraient les étoiles. Alors peut-être la nuit des yeux scruteront le ciel à la recherche des vaisseaux de cristal et se demanderont comment nous avons disparus. Pourtant, tant qu’il se trouvera quelqu’un sur un monde pour raconter notre histoire, nous continuerons d’exister.

Plusieurs années avaient passé déjà depuis que nous avions perdu la trace du son. Mon fils grandissait et je lui apprenais tout ce que je savais, sur nos coutumes, sur nos origines, sur la Lumière et les naaru. La connaissance sert à cela aussi.

Je suis resté aussi curieuse que je l’ai toujours été, je ne changerai pas si facilement. Et quand je regarde à travers les cristaux, je ne cesse de m’interroger. Parfois je me demande encore si tout cela a un sens. Mais c’est surtout la Lumière des étoiles que je contemple et qui m’aspirent dans l’infini.

Je me pose beaucoup de questions et sans doute ont-elles toutes une réponse.

Toute sauf une.

On a beau pouvoir expliquer scientifiquement, mathématiquement, pourquoi l'univers est ainsi; la vérité, c'est qu'on ne sait absolument pas expliquer sa beauté.

ExiléeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant