Alors que le ciel offrait les plus belles teintes orangées du monde, que le soleil frôlait les pics des monts lointains et que la lune narguait déjà la fin d'après-midi, deux âmes errantes parcouraient gaiement les rues de leur ville, main dans la main. C'étaient deux adolescents seulement âgés de dix-sept ans qui avaient décidé de se balader amoureusement le long des avenues commerciales et profiter du beau temps ensemble, sans se faire de souci pour les quelques regards de travers que certains passants leur lançaient. Des regards qui d'ailleurs allaient se perdre dans l'ignorance de ces deux êtres n'ayant d'yeux que pour l'un et l'autre. En peu de mots, ce n'était tout bonnement que deux garçons qui avaient cette envie et cette fierté de ne vivre rien que pour eux et vivre libres, uniquement sous les seules restrictions que leur propre conscience leur aurait imposées.
Sur leur chemin, aucun des deux adolescents ne parlait. L'un d'entre eux, le plus grand qui était un blond aux yeux verts et qui portait à l'envers une casquette noire sur sa tête, avait partagé l'un de ses écouteurs avec son copain, un châtain aux yeux bleus, le tout branché sur son téléphone d'où s'écoulait depuis une heure déjà diverses chansons. Ils écoutaient passer des musiques latines, puis les tendances anglophones du moment avant de revenir sur des musiques plus anciennes pour finir sur des sons d'ambiance. Rien à voir direz-vous, ces musiques lancées aléatoirement, pourtant cela ne semblait pas déplaire au jeune couple qui se surprit même en train de siffloter l'air d'une vieille musique française du milieu du vingtième siècle.
— Tu la connais mieux que moi cette musique, affirma le plus petit en regardant son petit-ami chantonner. Tu devrais la chanter.
Le blond tourna les yeux vers lui, visiblement amusé par l'observation de son copain.
— Sache Loïs que je ne sais pas chanter, répondit-il en riant. Je préfère continuer de siffler la mélodie, c'est mieux pour nos oreilles.
— S'il te plaît Axel essaie, l'implora-t-il en lui faisant une moue suppliante. Au moins le refrain, tu le connais par cœur.
Le plus grand, celui dont le nom était Axel, songea un instant à la demande de son amoureux. Malheureusement le cœur fut plus fort que la raison et le jeune homme céda presque cinq secondes plus tard, bien décidé à chanter ce morceau de musique.
— Bon d'accord, alors seulement le refrain !
Axel s'échauffa la voix sous le regard réjoui de Loïs qui manifesta son enthousiasme par un petit « ouais ! ». Les premières notes prononcées furent quelque peu imprécises comme si ses cordes vocales ne s'étaient pas coordonnées. Alors Loïs se mit à chanter avec lui pour l'aider à sortir d'entre ses lèvres de jolis sons, ce qui permit au blond de se caler sur une gamme de notes à sa portée. Lorsque la mélodie retrouva sa netteté, ce dernier continua à chanter seul la suite de la chanson, écoutée par l'oreille attentive de son copain qui avait laissé reposer sa tête sur son épaule. En ce qui concernait les paroles, là où il n'y eut aucun problème de trou de mémoire du côté d'Axel, celles-ci racontaient une histoire d'amour, celle d'un homme parisien frappé d'un coup de foudre pour une femme qu'il aperçut au travers d'une rue. La chanson se concentrait sur le fait que cette dernière ne le remarqua pas et continua sa route sans se retourner vers lui. Le malheureux décide alors de partir à tout prix à sa rencontre, quitte à être ensuite ignoré par celle qu'il surnommait « l'Étoile Filante » avec des lettres majuscules. « Étoile » car se fut ainsi qu'il considérait cette femme dont il était tombé éperdument amoureux, « filante » car il perdait à chaque fois de vue cette étoile qui changeait de chemin à chaque carrefour. De plus, des obstacles barrèrent le chemin du parisien qui devait sans cesse les contourner pour rejoindre au plus vite son Étoile Filante, mais en vain. Ses espoirs finirent par s'envoler au moment où il la perdit définitivement de vue, les paroles à la fin de la chanson expliquèrent alors que l'homme se retrancha dans sa tristesse et sa mélancolie.
Il se trouvait finalement qu'Axel avait continué à chanter bien après la fin du refrain, jusqu'à la fin de la musique en réalité. Même si l'adolescent avait entonné cette vieille chanson en train de marcher dans la rue et que, quelques personnes avait pu tourner leur attention vers lui, ce qui l'intéressa en premier lieu était de savoir comment Loïs avait trouvé sa prestation. Mais il n'eut pas besoin de lui poser la question, ce dernier lui fit part directement de son ressenti.
— Axel, c'était génial ! Je me demande vraiment ce que tu ne sais pas faire. Même pour chanter tu es incroyable !
— Merci mais je pense qu'il y a bien mieux que moi en matière de chant, répondit-il un peu gêné face aux compliments que le châtain lui fit.
— Si on va par-là il y aura toujours quelqu'un de meilleur que nous dans tout, affirma ce dernier. Mais ça ne t'empêche pas d'être une personne exceptionnelle, non ?
Sur ces mots, Loïs s'approcha du visage d'Axel pour y poser ses lèvres sur sa joue gauche. Un simple baiser qui eut don de faire battre un peu plus fort dans sa poitrine le cœur du chanteur amateur qui lui adressa en retour un « je t'aime ».
Tous deux marchèrent un long moment encore, peut-être vingt ou trente minutes et toujours sans prononcer un seul mot qui pourrait perturber la musique qu'ils étaient en train d'écouter. Leurs pas les menèrent vers des magasins, des boutiques qui s'illuminaient peu à peu avec la nuit naissante. Les fontaines des boulevards s'éteignirent, les lampadaires s'allumèrent un à un pour éclairer les routes et les trottoirs. Les pigeons que le couple avait vus gambader allègrement deux heures avant avaient enfin déserté les rues, laissant le champ libre aux rares rats d'égouts qui sortaient le bout de leur museau pour grignoter de vieux restes de nourriture.
Entre deux quartiers de la ville, Axel interrompit aussitôt sa marche, retenant par la main son copain qui ne l'avait pas vu s'arrêter. Loïs, ne comprenant pas cet agissement soudain, s'orienta vers lui et le sonda d'un œil interrogateur.
— Pourquoi est-ce que tu m'arrêtes aussi brusquement ?
— Juste, regarde ce panneau-là, lui indiqua Axel de son index.
Loïs suivit du regard la direction que lui montrait le doigt de son petit-ami, avant d'apercevoir, dissimulé derrière un arbre et collé sur une façade d'immeuble, le panneau qu'on lui désignait à l'entrée du quartier de l'opéra. Ce qu'il vit lui fit sentir comme si sa mâchoire inférieure allait se décrocher de son visage alors que la colère et l'injustice l'envahissait tout en entier. On pouvait y lire en grosses lettres et sur un fond jaune le message suivant : « Projet de renouvellement social et territorial. Par l'arrêté municipal du vingt-huit avril : le quartier de l'opéra est classé comme zone "sans LGBT". Les actes et les symboles en soutien à ce mouvement dans ces lieux seront sanctionnés. »
— C'est tout simplement écœurant ! s'indigna Loïs. Comment ont-ils pu oser ?
— Viens, ne t'embête pas, répliqua Axel d'une voix qui trahissait son agacement. Il n'y a que des malades et des ignorants dans cette ville. On va rentrer par l'autre côté, il n'y a rien d'intéressant à voir dans cet endroit de toute façon.
Il prit Loïs par la main et se dirigea vers un autre chemin qui les guiderait jusqu'à leurs maisons respectives. Pour oublier la découverte qu'ils firent quelques instants plus tôt, qui avait par ailleurs fait estomper le romantisme qui planait autour d'eux, ils abordèrent le sujet d'une future demeure qu'ils imagineraient sur la côte et loin de la ville. Une grande maison de trois étages avec un énorme jardin pour y creuser une piscine. En soit, l'idylle typique des grands amoureux qui rêvent d'un futur commun, heureux et riche, dans la naïveté et l'amour seulement.
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Candetta
Teen FictionLoïs Candet est un adolescent de dix-sept ans qui a appris à comprendre et à accepter la personne qu'il est. Mais malheureusement, le fait qu'il puisse se sentir vivre tel qu'il le désire ne plaît pas à tout le monde autour de lui, et on n'hésite pa...