Partie III

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Le lycée était sans doute l’un des endroits les moins accueillants d’après Loïs. Les élèves se permettaient d’émettre des jugements sur tout et tout le monde, comme si connaître leurs avis était chose vitale. En l’occurrence, cela avait complètement l’effet inverse puisqu’ils pouvaient conduire à d’énormes pertes de confiance si les opinions avaient pour but de rabaisser gratuitement une personne. Quoiqu’il en fût, l’adolescent n’en avait plus que pour un mois et demi avant d’oublier les affreux visages des élèves qu’il avait côtoyés pendant trois ans.

Des élèves que Loïs n’appréciait pas tant et inversement, il y avait également ceux qu’il considérait comme de véritables amis. L’adolescent put faire de belles rencontres, comme celle d’Auxanne pendant son année de première. C’était une lycéenne rousse, de petite taille, qui passait ses récréations assise sur le perron du lycée avec un livre ouvert sur les cuisses. De nature introvertie, elle préférait interagir avec la fiction plutôt qu’avec la réalité. Candet avait le souvenir d’une fille qui aimait la solitude et qui le faisait bien comprendre aux autres quand on venait lui causer des problèmes. Au départ, Loïs eut beaucoup de mal à l’approcher lorsqu’il l’apercevait en train de lire sur les escaliers ; Auxanne le faisait sentir de trop à côté d’elle. Mais passé les tentatives, la lycéenne se montra moins froide avec lui et beaucoup plus ouverte. Elle lui fit explorer son monde : la littérature, et Loïs se fascinait pour ce qu’elle pouvait raconter. Elle lui parla de poètes dont Rimbaud qu’elle admirait tant, d’écrivains en citant particulièrement Victor Hugo, mais aussi de mythologie grecque pour laquelle elle vouait une attention toute particulière. Plus ils discutèrent, plus l’adolescent s’ouvrait aussi à elle. Il ne parlait pas de ses passions puisqu’il n’en avait pas, il raconta sa propre histoire sans ne rien omettre de dire, ou presque. Il fit part à Auxanne des bons comme des mauvais moments qu’il vécut dans sa vie mais aussi de ses rêves et ambitions pour plus tard, dans un futur lointain. Pendant ses récits, sa nouvelle amie nota cependant quelques tergiversations, des passages où Loïs se refermait un petit peu plus sur lui-même. Cependant, elle comprit très rapidement de quoi il s’agissait.

Auxanne eut alors l’idée de réciter un poème de l’antiquité, quelques strophes venant d’une poétesse grecque du nom de Sapphô et peu connue des gens de son âge. Un poème intitulé « Ode à Aphrodite » qui fut la clé du dénouement des non-dits de son nouvel ami. La lecture de quelques strophes suffirent pour que Loïs comprît que la lycéenne avait découvert son mal. En quelques mots, la poétesse faisait part, tout au long de ses vers, de son amour pour la déesse grecque Aphrodite. Cette entité divine qui avait charmé et conquis le cœur de Sapphô devait pour lors répondre à la déclaration que cette dernière lui faisait. Dans les faits, et en s'intéressant davantage au personnage de Sapphô, celle-ci ne cachait pas ses œuvres qui pour certaines mettaient en avant un amour entre deux personnes de même sexe, en l'occurrence les femmes. Vivant par ailleurs sur l'île grecque de Lesbos, son influence et sa renommée dans le monde de la grèce antique firent que de nos jours encore, une femme qui aime les femmes est appelée une lesbienne, d'après le nom de l'île où vivait la poétesse.

Certes, en racontant un peu l'histoire de Sapphô et en faisant une lecture de « l'Ode à Aphrodite », Auxanne faisait passer son message à travers de nouvelles connaissances qu'elle voulait transmettre à son ami. Mais Loïs n'enregistrait plus ce qu'on lui disait, il versa une larme à l'écoute de la récitation, submergé par un trop plein d'émotion. Comme prévu il se libérait enfin, auprès d'Auxanne, de ce qui le pesait tant au fond de lui.

— Donc tu te doutes que je suis gay, déduit-il en sanglotant. Mais je, j'ai honte…

— N'aie pas honte de qui tu es, assura son amie en refermant son livre de textes antiques. Tu es la personne que tu es et tu dois accepter les différences qui font que tu es toi, pour pouvoir faire ce qui te rendra heureux.

Auxanne posa le bout de son index sur le torse de Loïs, au niveau du cœur, avant de reprendre.

— Aie plutôt honte pour tous ces gens qui pensent avoir le dernier mot sur la façon dont les autres doivent être à leurs yeux. Ces hommes qui pensent connaître l'homme et qui se plaisent à  critiquer, le sourire au bout des lèvres, ont les vices qui débordent d'entre leurs dents.

Loïs séchait une dernière larme à l'aide d'un mouchoir, puis il releva un sourcil en réinterprétant les mots de la lycéenne.

— C'est joli ce que tu dis là, lui avoua-t-il. Tu parles comme une littéraire.

— Ouais on va dire ça, ricana Auxanne. Mais c'est ce à quoi je pense, dit-elle plus sérieusement. Ne te laisse pas faire par les autres. Si tu es heureux dans ta vie, que tu le restes le plus longtemps possible. Mais personne ne doit te dire de quelle façon toi, tu dois être heureux. Prends le temps d'accepter qui tu es et arrête de prêter attention aux jugements des autres.

Loïs opina de la tête en adressant à son amie un petit sourire, sûrement un signe pour la remercier de lui redonner confiance et d'avoir son soutien.

Enfin, cela étant dit, plus d'une année était passée depuis qu'Auxanne et Loïs se furent parlés pour la première fois. Entre-temps, la lycéenne adepte de littérature avait remarqué au fil des mois qui suivirent que l'état de son ami se dégradait et que les agissements à son encontre, causés par les élèves du lycée, avaient pris de l'ampleur. Elle notait d'ailleurs avec effroi l'inaction des enseignants et de l'administration qui étaient pourtant tous témoins de la situation.

Le casier de Loïs était saccagé : il y était inscrit un tas d'injures telles que « petit PD », « sale tapette » ou encore « t'es qu'une suceuse », suivies du surnom qui l'atteignait lui et sa famille : « Candetta la pédale ». Loïs qui voyait son casier redécoré des noms qui le désignaient avait fini par ne plus l'utiliser. Il ne passait désormais plus par le hall où se trouvaient tous les casiers des demi-pensionnaires, préférant alourdir son sac de quelques cahiers en plus pour la journée et s'acheter à manger en dehors de l'établissement. Auxanne l'accompagnait, le réconfortait face à cela, mais l'adolescent avait beaucoup de mal à retenir ses larmes. Il pleurait abondamment, presque tous les jours si ce n'était pas plus. Loïs avait également droit aux menaces ; quelques boulettes de papier que l'on lui jetait au visage et qui disaient « je vais te faire ta peau », « va te tuer avant que ce soit moi qui le fasse », « on te fera virer du lycée ». Si seulement il pouvait partir du lycée…

Les menaces, Loïs avait appris à passer outre. Il en aurait jusqu'à la fin de sa scolarité au lycée et tant pis si cela pouvait lui peser. Il pleurerait un bon coup à la fin de la journée et ça passerait. En revanche, il supportait beaucoup moins que le peu d'amis qu'il avait, dont Auxanne, faisaient les frais de ce qu'il subissait en recevant à leur tour des menaces sur des morceaux de papier. Sa meilleure amie eut l'idée de garder toutes les boulettes de papier qu'on leur lançait dessus dans une boîte à chaussures. Elle disait que ces papiers représentaient des preuves à partir du moment où ils entraient dans la boîte, et qu'ils serviraient pour dénoncer celles et ceux qui osaient leur faire du mal. Néanmoins, malgré la prise d'initiative, Loïs était contre le fait d'aller trouver justice auprès des autorités compétentes car ce serait prendre beaucoup d'engagements pour se lancer dans un long et éreintant processus judiciaire. De plus, il se disait que les familles de ses amis ne devaient pas se déranger à entrer dans ces histoires, surtout pour de simples bouts de feuilles. Enfin, Loïs n'aurait pas l'aide, ni même le soutien de sa famille. Ses parents, qui n'acceptaient déjà pas vraiment la personne qu'était leur fils, ne poseraient pas un seul pied dans un tribunal en vue de le défendre.

Alors dès que possible, la seule chose que Loïs Candet ferait serait de brûler cette boîte à chaussures. Il la voulait voir disparaître dans les flammes, à jamais, pour après en piétiner les cendres. Et lorsque les flammes auraient tout consumé de la boîte, seul resterait gravé en mémoire le malheureux surnom dont le jeune homme avait hérité. Tout ce qui ferait mention de son nom de famille, ferait revenir comme un écho la dernière syllabe qui manquait à son surnom.

Candetta.

CandettaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant