L'Araignée

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Ce soir-là, je jouais du piano, quand j'entendis l'horloge sonner les douze coups de minuit. Je n'avais pourtant pas le souvenir d'avoir joué très longtemps. Etonnée, je jetai un œil sur ma montre. Son cadran indiquait seulement vingt-et-une heures. Je crus alors que l'horloge avait simplement dû être remontée par une maladresse de ma part. J'eus une étrange intuition, et je regardai une nouvelle fois ma montre. Quelle ne fut ma surprise lorsque je m'aperçus que les aiguilles étaient désormais pointées vers le douze. La fatigue me jouait-elle des tours?

Je trouvais cela bien étrange. Mais, malheureusement, ce n'était rien, comparé à ce qui allait suivre dans la soirée.

Alors que j'étais confortablement installée dans mon lit moelleux, j'entendis quelque chose de très singulier. Des notes cristallines coulaient jusqu'à mes oreilles. Je crus tout d'abord que ce n'était qu'un rêve. Mais les notes, se faisant de plus en plus insistantes, me semblaient de plus en plus réelles.

La terreur commença à s'emparer de moi, mon imagination s'enflamma. J'habitais seule pourtant. Mon piano serait-il hanté ?

Je tremblais comme jamais je n'avais tremblé. Essayant de me calmer, je me concentrai sur la musique produite. Il y avait beaucoup de fausses notes, mais j'arrivais tout de même à discerner quelques ressemblances avec le morceau que je jouais quelques minutes auparavant. Au final, j'eus l'impression que quelqu'un essayait vainement de m'imiter.

Ma curiosité l'emportant sur l'angoisse, je me levai et descendis dans le salon où se trouvait mon piano, et d'où venait très probablement la musique.

M'attendant à tomber nez à nez avec une personne ou du moins, et j'ai honte de l'avouer, un fantôme, je fus très surprise. En effet, il n'y avait rien près de mon piano. Je crus alors que j'avais des hallucinations auditives. Intriguée, je me rapprochai de l'instrument et je vis les touches s'enfoncer d'elles-mêmes.

Soudain, le bruit cessa et je remarquai un point noir sur une touche blanche. J'avançai ma tête et vis que ce n'était qu'une araignée ridiculement minuscule.

Cependant, étant arachnophobe, je n'étais point rassurée et je sursautai vivement lorsque l'araignée descendit du piano, suspendue à un fil très fin et transparent. Je me plaquai compulsivement contre le mur en tentant de contrôler ma respiration haletante.

Arrivée au sol, l'araignée grossit. Je la regardai avec une horreur mal contenue enfler de plus en plus. Quelques secondes plus tard, ce qu'il y avait devant moi n'était ni tout à fait une araignée, ni tout à fait une humaine, mais plutôt un mélange monstrueux des deux.

La créature avait le visage d'une femme, au milieu duquel se trouvaient huit yeux d'un noir profond. Sa chevelure était longue, lisse et noire, et avait l'air grasse. Elle avait des pieds d'humains, avec cinq orteils chacun, mais avait conservé son abdomen d'araignée et ses pattes noires et poilues.

La chose me parla d'une voix de femme, grave, rocailleuse, et menaçante : "Bonsoir, Sasha Elly."

Je ne m'interrogeai pas sur la façon dont elle connaissait mon nom, bien trop occupée à me demander à quel point ses dents pointues étaient tranchantes. Je lui répondis d'un "bonsoir" timide et tremblotant.

"C'était très joli, ce que tu as joué, tout à l'heure", me dit-elle.

Je lui demandai donc, d'un ton empreint d'une crainte respectueuse, si elle désirait que je lui rejoue le morceau.

"Non, avait-elle prononcé d'un ton autoritaire, apprends-moi."

Ce n'était pas une demande, mais un ordre. Me sentant obligée de lui obéir, je m'assis devant le piano et ce que je décidai d'appeler l'"Araignée Mutante" s'assit près de moi.

Au début, je me sentais mal à l'aise à cause de la présence intimidante de l'Araignée, mais peu à peu, songeant qu'elle n'avait pas l'intention de me dévorer, je repris confiance en moi.

Quelques heures après avoir commencé à lui apprendre le morceau, je sentis imperceptiblement quelque chose changer en moi. Je me rendis compte que mes mains noircissaient, tandis que celles de mon élève s'éclaircissaient. En levant la tête vers l'Araignée Mutante, je vis, troublée, plus que deux yeux, tout à fait normaux, dont la couleur me rappelait étrangement celle des miens.

Je ne m'attardai pas plus sur ces détails car je remarquai que je multipliais les fausses notes, tandis que l'Araignée jouait de mieux en mieux.

Bercée par les douces notes de l'Araignée Mutante, je m'endormis, la tête sur le clavier du piano.

Le lendemain matin, c'est avec une horreur grandissante que je m'aperçus que le cauchemar n'était pas terminé.

Mon salon avait triplé de volume, de même que mon piano, sur lequel j'étais perchée. J'observai autour de moi, je reconnaissais bien ma maison, mais elle semblait être conçue pour un géant.

Quelle ne fut pas ma terreur quand je vis une personne, en tout point semblable à la mienne mais de toute évidence bien trop grande, prendre place sur le tabouret du piano.

Mon autre moi me vit et cria : "Quelle horreur! Une araignée!"

Ensuite, elle empoigna un journal qui traînait par là et m'écrasa.

FIN

La Revanche MortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant