1- Claire

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Quelques heures plus tôt

- Ça vous fera trente-trois nouveaux francs et quarante-trois centimes, s'il vous plait. m'annonce la caissière.

Mes yeux se plongent dans mon porte-monnaie. J'en sors mon dernier billet de vingt et comptent les pièces qu'il me reste, en soufflant intérieurement.

La vieille femme d'origine indienne commence à s'impatienter. La chance n'est pas de mon côté aujourd'hui. Je sais que Kiran aurait volontiers mis sur mon ardoise les quelques pièces qu'il me manque. Les fins de mois sont difficiles et il le comprend. Il m'a aidé plus d'une fois à remplir mon frigo, sans que j'ai besoin d'avancer les frais. Sans son aide, la vie aurait été bien difficile certains jours. S'il m'aide, c'est aussi parce qu'il sait que je paie toujours mes dettes. Et que je fais toujours profiter sa femme de ma réduction d'employée au magasin de vêtements. Mais je connais sa mère et elle est intransigeante. Au regard qu'elle me lance, je comprends qu'elle ne me fera pas de cadeaux. Je ne lui en veux pas. Les temps sont durs pour tout le monde. Je regarde les articles sur le tapis roulant : une bouteille de lait, un paquet de Z'animo, une boite de thé, un brocoli, trois carottes et une barquette d'escalopes de dinde.

- Si on enlève le thé, c'est bon ? je l'interroge, en lui donnant le contenu de mon porte-monnaie.

La femme acquiesce, non sans me fusiller du regard, avant d'annuler mon article. Comme si ça m'amusait de ne pas avoir suffisamment d'argent pour payer mes courses. Tant pis pour le thé, je me contenterai d'une tasse de café, pour me réveiller le matin. Au moins, j'ai pu conserver les petits biscuits que Lizzie adore.

Ça fait plusieurs semaines que je repousse ce moment. Mais je ne vais plus avoir le choix. Ce soir, je vais devoir me rendre sur la Rive interdite, comme l'appelle mes parents. Ils ne le savent pas, mais c'est grâce à ça que je maintiens notre famille à flot. À cent trente mille francs la dose, il serait dommage de s'en priver. Grâce à cet argent, nous pouvons conserver notre appartement dans le 20ᵉ arrondissement et manger de la viande plus d'une fois par semaine. Même si j'ai toujours un peu peur de me rendre là-bas, je sais que c'est le seul moyen de gagner de l'argent facilement.

Personnellement, je n'ai pas d'avis tranché concernant les vampires. Quand la guerre a éclaté, je n'étais qu'une enfant. Et avec mes parents, nous vivions à la campagne. Nous n'avons donc pas vécu les affrontements directement. Je ne me souviens donc pas vraiment d'une vie sans leur présence. Et puis, il faut dire que depuis, je n'en ai pas croisé tant que ça. Les seules fois où j'ai des interactions avec cette espèce, c'est lorsque je me rends au Sang Monnaie, pour gagner un peu d'argent. Soit depuis quatre ans, maintenant. À cette simple pensée, je sens mon cœur se serrer et une certaine amertume emplit ma bouche. Même après toutes ces années, c'est toujours aussi douloureux.

Perdue dans mes pensées, je me rends seulement compte que je viens de passer devant mon immeuble. Ici, tous les bâtiments se ressemblent. Les tours aux pierres rouges, salies par le temps, sont les mêmes partout. Seul le numéro 13 m'indique que je suis au bon endroit. Comme toujours le gardien me salue rapidement. Comme toujours, évidemment, il s'empresse de me rappeler que le paiement du loyer est à la fin de la semaine. Une raison de plus d'aller vendre mon sang, ce soir.

Dans le hall, je peste contre mes voisins qui ont encore dû faire bruler trop d'encens, pour masquer l'odeur de l'herbe qu'ils fument. Je déteste cet immeuble. Je voudrais pouvoir offrir un meilleur environnement à ma famille. Malheureusement, c'est le seul appartement que j'ai pu trouver dans nos moyens. Le seul avantage à vivre ici, c'est que nous sommes au rez-de-chaussée et que l'école se situe à deux rues d'ici. Je souffle un bon coup pour éloigner toutes mes pensées négatives, avant d'entrer à la maison.

Seven Tome 3 - Les liens du sang [publié avec KDP]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant