Chapitre 2 |La fugue

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Je suis fatiguée, mais mes yeux sont assez reposés et veulent s'ouvrir pour voir d'où provient la puissante lumière qui les gêne. Le soleil brille et aucun nuage n'est présent à l'horizon, c'est un temps plutôt rare sur l'île de Likerat, l'île du désespoir. Je suis dans un lit, ce même lit que je connais depuis 14 ans et qui est de moins en moins confortable au fil des années. Je ne me souviens pas m'être mise sous mes draps, j'ai la tête lourde et les souvenirs embrouillés.
Je me retourne pour pouvoir voir le rebord de ma fenêtre où j'y ai déposé un morceau de bois pour créer un cadran solaire. Je dois me redresser un peu avant de conclure qu'il est 10 heures du matin, je me demande combien de temps j'ai dormi aujourd'hui et pourquoi personne n'est venu me réveiller. C'est alors que je me rappelle de l'évènement épuisant de la veille, quand j'ai été contrainte d'aller dans le bureau de madame Prence, la vielle bique. En tant normal, j'arrive à supporter ses maudites paroles, mais cette fois, c'était la fois de trop.

Je me redresse même si chacun de mes membres sont engourdis. Je me lève lentement et m'avance vers la porte pour voir si elle est ouverte ou bien fermée. Je dépose ma main sur la poignée et prend le temps de savourer ce moment : la porte est ouverte. Je me demande vraiment ce qu'il se passe. On m'a mise dans mon lit, on m'a laissé dormir et ma chambre est malgré tout ouverte.
Je n'attends pas plus longtemps. J'ouvre la porte en grand en la laissant grincer, je m'avance dans le couloir jusqu'aux escaliers puis les descend. Je ne sais pas pourquoi mais je me sens libre, mes pieds s'avancent un par un, il n'y a personne autour de moi pour me faire une remarque.
Quand j'arrive au rez-de-chaussée, j'entends les bruits de pas des Capras, les dames qui s'occupent de nous, et les quelques paroles des autres enfants de l'orphelinat de Likerat. Je m'avance jusqu'à l'embouchure qui fait office de porte et observe tout ce petit monde qui nettoie le linge malgré eux.
Quand Onaya, une petite fille de l'orphelinat, redresse les yeux des draps qu'elle lave pour les plonger dans les miens, je sens la colère qui l'envahit. Son regard est noir et me pétrifie. Je ne bouge pas et la regarde pendant qu'une boule de honte se forme dans ma gorge. C'est comme si cette légèreté qui était en moi quelques instant plus tôt n'avait pas le droit d'exister. C'est comme si je n'avais pas le droit d'être libre.

Mais ce moment de liberté puis de honte ne dure pas indéfiniment. Je sens une grande main lourde se poser sur mon épaule, je crois savoir qui c'est mais je n'en suis pas certaine. Je me retourne pour faire face à la personne qui en a après moi et m'aperçois sans aucune surprise que c'est madame Prence, la directrice de l'orphelinat, la vieille bique, l'ancienne prostituée envoyée sur Likerat pour se débarrasser du mal qu'elle a bien pu faire.
- Regarde-les, me dit-elle, tu vois tous ces enfants, ces enfants qui nettoient le linge et les draps avec le si peu d'eau propre qu'ils ont pu trouver. Tu les connais bien, tu sais bien ce qu'ils endurent chaque jour, tu sais même parfois pourquoi ils sont ici. Et pourquoi sais-tu tout ça ? C'est parce que tu en est une, une enfant ingrate abandonnée par ses parents depuis toujours et qui doit obéir aux Capras et sa directrice à longueur de journée. Tu n'es rien d'autre qu'une pauvre fille qui nettoie le linge et le rend plus sale encore, qui va chercher de l'eau à des kilomètres de là, qui passe le balai à longueur de journée, qui frotte la vaisselle pour la faire un minimum briller.
- Pourquoi me dîtes-vous tout cela ?
- Tu ne comprends toujours pas ? Tu es lui au fond de la pièce, tu es elle au regard noir, tu es aussi ce garçon aux cheveux longs. Tu n'aimes pas être ici, tu n'aimes pas les voir ici, alors tu vas leur rendre le sourire et faire pour eux tout ce qu'ils faisaient à longueur de journée.
- Vous voulez que je sois la seule à travailler ? C'est impossible, je travaille déjà chaque minute que je passe dans cet orphelinat, je ne pourrais jamais faire plus.
- Tu en es sûre ? Il va falloir faire mieux alors car telle est ta punition.
- Ma punition suite à quoi ?
- Pour avoir cassé une fenêtre, forcé une porte, volé de la nourriture, insulté une Capras, t'être évanouie, avoir dormi après sept heure, et par dessus tout, t'être sentie supérieure aux autres en les regardant travailler sans toi. C'est une punition juste je trouve.
- Je ne trouve pas ça juste du tout, loin de là, mais si vous y tenez tant, je le ferai. Pour combien de temps au juste ?
- Je dirais, un mois. Dépêche-toi de te mettre au travail et tâche d'avoir tout fait de noté sur la liste avant minuit ou tu seras privée de nourriture.
Madame Prence me tend une feuille de format standard, pliée en quatre et remplie d'encre de haut en bas et de gauche à droite. La liste est interminable. Il est déjà dix heure et demi, comment je vais faire pour tout terminer avant minuit ?

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