Chapitre 1 | Le surnom

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On m'appelle Ellie, mais j'ai été déposée dans ce panier avec une lettre marquée de mon prénom, ma date de naissance et le jour de mon arrivée à l'orphelinat. On m'appelle Ellie, mais je me nomme Elementa...

"Le matin du 8 juin 2007, une déesse d'une rare beauté t'a déposée dans ce panier d'osier accompagnée d'une couverture de coton rose pâle et de cette courte lettre sur laquelle je t'écris. Nous sommes près de toi Elementa, tu es notre merveille depuis un an déjà, mais nous devons nous séparer à présent. Nous espérons te retrouver très vite, tous les trois. Bien sûr, quand tu seras en capacité de lire cette lettre, nous serons déjà loin et peut-être que des milliers de gens t'auront mentis ou fait du mal. Elementa est ton prénom, tu es née le 17 mai 2006, n'oublie pas qui tu es, nous serons toujours près de toi mon Océan."

Telle est cette lettre d'une personne anonyme à mes yeux, que j'ai relue une fois encore ce matin. C'est une des seules choses qui me reste de ma vie antérieure à l'orphelinat avec le panier d'osier et la fine couverture rosée. Je ne sais pas qui sont ces gens, qui est cette personne qui écrit, qui est cette "déesse" qui m'a déposée, qui sont, au final, ces trois personnes dont parle la lettre : je n'en ai aucun indice. Serait-ce des personnes de ma famille, des parents, des amis, des kidnappeurs ? J'ai déjà réfléchi à des centaines de solutions mais rien ni personne ne pourra me dire laquelle est la vraie, pas même madame Ronald qui m'a récupérée au pied de la porte de ce qui est devenu mon chez moi.

Il se fait tôt, mais je suis déjà réveillée par la lueur du soleil qui s'incruste à travers les très fins et vieux rideaux qui bordent ma fenêtre. J'ai faim, mais je ne peux pas descendre car on m'a enfermée dans cette satanée chambre, encore une fois. J'ai quelque peu mérité cette punition mais je ne cesserai de me dire qu'il n'y a que sur l'île de Likerat que l'on peu faire subir d'aussi atroces choses à des enfants.
Oui, laisser allumer le robinet de la vielle salle de bain du sous sol n'est pas normal, mais de toute façon, quoique je fasse, je me retrouve toujours avec une sanction, que je laisse ouvert ou non un robinet.
J'étais sage, polie, et bien élevée comparé aux autres mômes qui rôdent dans les couloirs du troisième étage, mais depuis que cette vielle bique est arrivée, je ne peux me déplacer sans avoir une femme derrière mon dos. Ces vielles Capras n'ont peut être pas de chance de s'être retrouvées là, mais elles nous haïssent plus que tout, alors c'est compliqué d'avoir un minimum d'empathie pour elles.
Enfermée, affamée, et détestée, je reste assise sur mon lit en relisant une seconde fois ce matin la petite lettre qui se trouvait avec moi le jour de mon arrivée à l'orphelinat. Seul ce petit bout de papier arrive à me calmer, à me faire oublier où je suis, mais il est si court que je ne m'évade jamais longtemps. Une nouvelle question me passe à travers la tête après avoir examiné une énième fois ce texte : si jamais les trois personnes dont il parle sont toujours vivantes, sur quelle île du Kalendas vivraient-elles ?
Le Kalendas est un regroupement de 8 îles, une zone dirigée par un Gardien en plein milieu de l'océan Pacifique.
L'île du désespoir, Likerat, la pire des huit, celle où chaque personne malheureuse se fait emmener, celle où les délinquants sont la seule source de vie, est celle sur laquelle m'ont déposée ces gens...
Ces gens... Mais où sont-ils en ce moment ? Sur Khalos ? L'île principale ? Sont-ils des Capras ? Des personnes travaillant sur une autre île que Karles, l'île du travail ? Je ne le saurais sûrement jamais.

Un oiseau vient se poser sur le rebord de la seule et unique fenêtre qui est présente autour de ces 8m². D'un gris terne, il m'observe puis apporte une nouvelle brindille à son nid déjà confectionné depuis une semaine, une brindille argentée qui scintille au reflet du ciel. Cette fameuse brindille que j'ai pensé de bois à première vue est en réalité une aiguille. Ce petit oiseau pourrait se blesser avec. Sans plus attendre, je me redresse sur mes genoux, toujours en tailleur sur mon pauvre lit, hisse mes maigres bras quelques centimètres plus loin pour atteindre l'unique fenêtre incapable d'accomplir son simple rôle. Malgré le fait qu'elle soit fermée, étant très abîmée et habituée à mes nombreuses tentatives d'évasion, sa fragilité en est devenue surprenante. Il ne suffit que d'un léger coup de coude au bon endroit pour qu'elle cède et s'ouvre sur le minuscule jardin qui longe la bâtisse quelques mètres plus bas. Sans surprise l'oiseau qui me tenait compagnie plus tôt s'envole à la première vibration. Il a raison de me craindre, sur cette île tu ne peux faire confiance à personne. Je récupère sans trop de souci l'aiguille en veillant à ne pas me blesser. La vieille bique serait bien capable de le remarquer et de me sanctionner ne serait-ce que pour une blessure non identifiée. Dire la vérité ne servirait même à rien, elle penserait que j'invente un mensonge pour contourner une vérité qui serait bien plus cruelle. En définitive, mieux vaut que je ne me blesse pas avec cette aiguille ridicule.
Une fois le gadget en ma possession, je prends bien soin de remettre la fenêtre à sa place, le tout dans un silence assourdissant pour ne pas qu'on me suspecte une nouvelle fois de trafiquer quoi que ce soit. C'est alors que j'examine l'objet quelque peu rouillé avec délicatesse que me vient à l'esprit un tout nouveau stratagème. Si la fenêtre ne tient plus sur ses gonds, la porte de ma chambre et sa serrure quant à elles sont bien robustes. Et pour cause ! C'est un des seuls endroits dans cet orphelinat où l'on peut trouver du mobilier "neuf" (ou du moins qui ne date pas des années Trente). Dans ma tête je n'ai même pas le temps de réfléchir à ma pensé, ni aux conséquences, ni aux moyens que je devrais mettre en œuvre pour m'en sortir, ni même une excuse au cas où je me ferais prendre. On pourrait penser qu'après 14 ans à vivre ici je devrais me soucier du moindre détail, mais non, il m'arrive d'être bête et de foncer tête baissée dès que j'en ai l'occasion. Alors je me précipite avec ma trouvaille près de la serrure, m'accroupie tant bien que mal entre le mur et mon lit pour avoir une vision satisfaisante de mon objectif, glisse l'aiguille dans le petit trou qui fait office de serrure et m'amuse à la bouger dans tous les sens en espérant entendre un "cling". Ce bruit ne parvient pas à mes oreilles immédiatement mais à force de patience je commence à comprendre le principe et arrive à déverrouiller la porte. 

ElementaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant