Dormir, toujours dormir...

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Deux jours, quatre heures, cinquante-trois minutes et six secondes. C'est le temps qui s'est écoulé depuis que j'ai sombré dans ce profond sommeil. Autant vous dire que j'en ai déjà marre. Je me suis fait piéger comme une idiote en me piquant le doigt à un fuseau. Résultat ? Je me suis immédiatement endormie. Le pire, c'est que je sens et j'entends tout ce qui m'entoure. Ainsi, quand mon père et ma mère m'ont lancé un seau d'eau froide sur la tête, je l'ai bien senti, vous pouvez me croire ! Tout le monde a tenté de me réveiller : les médecins, les servants, les cuisiniers, les gardes, les enchanteurs, les boulangers, les enfants etc ont mis du coeur à l'ouvrage, sans succès. J'avais envie de crier, de bouger, bref, de me réveiller, mais c'était tout bonnement impossible. On m'a alors déposée dans mon lit et j'ai entendu ma mère et une de mes marraines, la fée Bénévole, discuter. Apparemment, j'allais rester cent ans endormie, et je ne pourrais être réveillée que par le baiser d'un prince. Non mais vous vous rendez compte ? Cent ans ! Un siècle ! Non, cela ne va pas être possible. Ca fait à peine deux jours que je suis endormie et je n'en peux déjà plus. Alors vous imaginez, un siècle ?! Plutôt mourir ! A moins que le prince en question vienne plutôt que prévu... Oh, oui. Ca, ce serait vraiment bien. 

Alors que je rumine ces pensées, j'entends soudain mes trois marraines parler.

- En attendant le retour du prince Philippe, nous pourrions endormir tout le château, qu'en pensez-vous, mes soeurs ? propose Jouvence.

- Excellente idée, très chère. Ainsi ils ne se morfondront pas en attendant le réveil de la princesse, approuve Bénévole.

Elles sortent alors accomplir leur tâche. Quant à moi, je prie pour que le prince se dépêche. Je n'ai pas envie d'attendre des lustres ! 

Même si l'idée qu'un prince vienne me réveiller me comble de joie, je dois avouer que je suis malheureuse car quelques heures avant ma venue au château, j'ai rencontré l'homme de mes rêves dans les bois. Et, cet homme, je ne le reverrai jamais. J'ai envie de pleurer. Je suis obligée de me marier avec ce prince dont j'ignore tout alors que je suis tombée amoureuse de l'inconnu dans la forêt. Quelle injustice ! Pourquoi ne pourrais-je pas me marier avec ce jeune homme, même si c'est un paysan ? Cela me révolte. Hélas, ce n'est pas moi qui décide. Je dois épouser ce prince afin d'unir nos deux royaumes, et tant pis pour mon bonheur. L'union passe avant tout. 

Mes marraines mettent longtemps à revenir, et quand elles le font elles se contentent de rester là en silence. Quant à moi, je pense à Philippe. Quand va-t-il arriver ? J'entends des bruits étranges venant de dehors, et cela m'inquiète. J'aimerais tellement me réveiller afin de voir ce qu'il s'y passe ! C'est une vraie torture, en fait. Imaginez que vous dormez et qu'en vous réveillant le matin, vous vous rendez compte que vous êtes solidement attaché à votre lit et que des bandeaux entravent votre bouche et vos yeux. Vous voyez le tableau ? Et bien, c'est exactement cette impression que je ressens. Et c'est juste horrible. Je n'arrête pas de me dire : "Réveille-toi, réveille-toi !" mais évidemment, cela ne fait aucun effet. J'en ai vraiment marre. Jamais je n'ai désiré une chose aussi forte que ce que je veux maintenant : être libérée de ce sommeil qui m'emprisonne dans mon propre corps. 

Philippe, c'est ton moment. Allez...

Toujours personne, bien sûr.

Deux jours, sept heures, trente-huit minutes et vingt-deux secondes. Oui, je compte réellement. Ce n'est pas une blague.

L'attente est si longue ! 

Je me mets alors à penser aux cadeaux que m'ont fait mes marraines pour mon seizième anniversaire : un énorme gâteau et une splendide robe tantôt bleue tantôt rose, robe que je porte d'ailleurs à l'instant même. Ce jour-là, ma vie a radicalement changé : de paysanne, je suis passée au statut officiel de princesse. Cela m'a foutu un sacré choc, et aussi une très grande tristesse car j'ai appris que je ne reverrai jamais l'homme que j'avais rencontré dans les bois et que je devrais me marier avec un prince qui m'était promis depuis ma naissance.
Au château, j'ai commencé à pleurer toute seule dans une pièce. Mais soudain, j'ai entendu une voix qui, je l'ai cru, était celle de l'homme que j'aime. J'ai donc suivi cette voix, complètement hypnotisée, et ai fini, comme vous le savez déjà, à me piquer à un fuseau. Je suis alors directement sortie de ma transe mais hélas, je me suis endormie en un clin d'oeil. Tout ça à cause de Maléfique, cette horrible sorcière qui m'avait jeté un sort funeste lorsque je n'étais encore qu'un nourrisson. Si elle n'existait pas, rien de tout cela ne serait arrivé. Si elle n'existait pas, j'aurais grandi ici, au château, et j'aurais déjà, à mon humble avis, rencontré Philippe depuis belle lurette. Qui sait, peut-être que je serais tombée amoureuse de lui, finalement. Mais ce qui est certain, c'est qu'actuellement je ne serais pas endormie sans pouvoir me réveiller. 

Pourquoi Maléfique a-t-elle fait ça, d'ailleurs ? Quel était son but en accomplissant cette tragédie ? Faire du mal à tout un royaume ? Quel genre de monstre est-elle pour faire cela ? On comprend pourquoi Maléfique s'appelle comme cela... Elle est, comme son nom l'indique, mauvaise et a une influence toujours négative. Elle est peut-être née comme ça, en fait. Néanmoins, j'ai du mal à éprouver de la pitié pour cette femme qui a brisé ma famille.
A cause d'elle, les seuls humains que j'ai vus avant mon seizième anniversaire étaient en tout et pour tout quatre : mes trois marraines, Bénévole, Jouvence et Sapience, et l'homme de mes rêves. Je ne vous dis même pas à quel point je me sentais seule... De toute ma vie, j'ai plus parlé à des animaux des bois qu'à des humains. C'est pour vous dire... Enfin bon, peut-être qu'à partir de maintenant je pourrai parler à d'autres êtres humains, à commencer par ma mère et mon père. Enfin... pour ça, il faudrait déjà que Philippe vienne me réveiller ! Qu'est-ce qu'il attend ? La chute des feuilles ? Je suis mal barrée, je pense...
Est-ce que je me plains trop ? Peut-être. Mais, franchement, que feriez-vous si vous étiez à ma place ? J'espère que vous comprenez vraiment dans quelle situation je suis : je suis endormie mais j'ai conscience de tout ce qui se passe autour de moi et je pense comme si j'étais éveillée. Et c'est juste insupportable.

- J'ai hâte que tout ça se termine, soupire soudain Sapience.

- Espérons que Philippe arrive sain et sauf au château, dit Bénévole. Maléfique fait vraiment tout son possible pour l'y en empêcher.

- J'ai confiance en lui. Je sais qu'il va y arriver, déclare Jouvence.

Oui, et s'il pouvait se dépêcher, ce serait bien !

Mais je suis injuste de dire ça. Je ne sais pas ce que le prince doit endurer pour venir jusqu'ici. Et si en plus Maléfique s'interpose, ça sent mauvais. J'espère vraiment qu'il va réussir. Parce qu'en plus, s'il meurt, qui viendra me réveiller ? Oh, non ! Si ça tombe, je devrais attendre des années avant qu'un autre prince vienne me sauver ! Mon Dieu, je préfère ne pas penser à cette éventualité. Ce serait vraiment le pire scénario possible.

- Et dire qu'Aurore pense qu'elle ne reverra jamais le jeune homme qu'elle a rencontré dans les bois... commence Jouvence.

- Alors qu'en fait, lui et le prince Philippe sont une seule et même personne ! complète Sapience.

Hein ?! Attendez... QUOI ? Je dois avoir mal entendu, c'est tout simplement impossible...

- Elle va avoir une bonne surprise quand il va la réveiller, c'est sûr, ajoute alors Bénévole.

J'ai l'impression de rêver. Cela ne peut pas être vrai. Mais si ça l'était... Voilà que je commence à espérer, mais j'ai peur de me faire des illusions... Et pourtant, et pourtant...

Comme je vous l'ai dit plus haut, j'entendais des bruits de combat venant de dehors. Mais soudain, tout s'arrête. C'est le silence complet.

- Regardez ! s'écrie alors Bénévole. C'est Philippe ! Allons le rejoindre.

Et sur-ce, les trois fées sortent de la pièce. Je me retrouve donc seule une fois de plus, le coeur battant la chamade. J'attends - puisque de toute façon je ne sais rien faire d'autre - me demandant si c'est enfin le moment. Au bout d'un certain temps, j'entends des pas qui se rapprochent. Je retiens mon souffle. Puis, je sens ses lèvres se poser sur les miennes comme un délicat papillon. J'ouvre enfin les yeux et le vois : c'est lui. C'est l'homme de mes rêves. Je le prends dans mes bras, un sourire heureux étirant mes lèvres.

- Tu es rayonnante, Aurore, murmure-t-il ensuite, des étoiles dans les yeux.

- C'est parce que tu es là, je réponds avec un sourire malicieux.

Je suis tellement heureuse. Je suis enfin réveillée, et qui plus est, je vais me marier avec l'homme que j'aime. Que demander de plus ?

FIN

Hello ! J'espère que vous allez bien. ♤

Je suppose que vous avez deviné de quel conte est tiré cette nouvelle ? Réponse en commentaires ! ☆

Merci pour votre lecture. J'espère sincèrement que vous avez aimé lire cette histoire comme j'ai aimé l'écrire ! ♡

Passez une bonne soirée/journée ! ♧

𝐑𝐞𝐜𝐮𝐞𝐢𝐥 𝐝𝐞 𝐧𝐨𝐮𝐯𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬Où les histoires vivent. Découvrez maintenant