3- l'odeur des vieux livres.

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Il l'avait pris pour un mendiant ? Lui?

Yoongi ne s'était jamais, de toute sa vie, senti aussi outrageusement humilié.
Il n'avait jamais été riche, mais il détestait la pitié et en recevoir ainsi dans la rue a atteint son ego plus qu'il ne voudrait bien l'admettre. Ce genre de condescendance lui était tout simplement insupportable d'autant plus qu'il ne se serait jamais abaissé à mendier, même si son ventre et ses poches avaient été d'un vide sans nom. Jamais il ne pardonnerait cet inconnu de s'être ainsi moqué de lui. Il faut le dire, depuis toujours il était quelqu'un de relativement rancunier, et il n'appréciait pas trop qu'on lui manque de respect, mais il a toujours été trop réservé pour que ses pensées se transforment en actes.
Seulement cette fois, il ne parvenait pas à chasser le goût amer qui perturbait ses papilles, et la sensation de brûlure dans sa gorge.
Et la plupart du temps il ne se donnait pas la peine de se venger, perte de temps inutile qui ne faisait que donner un peu plus de son énergie à ceux qui l'avaient blessé. Il regarda la pièce de monnaie à ses pieds, et pris conscience qu'en réalité, il était dans un état quelque peu pitoyable.
Premièrement, il n'avait pas de chaussures, ce qui relevait déjà d'un comble. Deuxièmement ses chaussettes étaient dans un état ridicule, étant passées de blanc à un marron louche, et le tissu était tellement usé qu'il parvenait à sentir le froid mordant du béton sous sa peau. Cela tenait presque du miracle qu'elles ne soient pas encore trouées.
Le décor ne changeait pas, et pourtant avec l'arrivée de la nuit l'atmosphère se faisait plus lugubre, plus appuyée. Les passants pressaient le pas pour rentrer chez eux, soucieux, avec chacun leurs propres tracas qui les poussaient à accélérer. La rue fourmillait toujours de voitures, mais les trottoirs se faisaient presque déserts. Yoongi n'avait jamais vu autant de monde réuni au même endroit que quelques heures plus tôt. Et pourtant, il savait que cette rue était loin d'être la plus large et la plus passante de Séoul. Il n'aimait pas vraiment la foule, pas du tout d'ailleurs. Du moins il aimait l'observer de loin, se mêler à elle tout en gardant ses distances, discret et invisible, en décortiquant chaque détail qui lui paraissait digne d'intérêt.
Il se sentait comme prisonnier dans cette grande ville sans âme, au milieu de tous ces immeubles plus hauts que ce que le ciel pouvait contenir. L'asphyxie était de mise, pour quelqu'un qui ne supporte ni les espaces clos, ni les espaces trop vastes. Parfois, Yoongi se disait qu'il possédait un peu trop de peurs, c'était le cas à cet instant.

Il frotta ses cuisses vigoureusement au travers de son jean, essayant en vain de retrouver un semblant de chaleur. Celui ci était également humide et la sensation du jean collant sur sa peau était très désagréable. Mais elle était loin d'être aussi désagréable que la rencontre qu'il avait fait plus tôt dans la soirée. L'événement tournait en boucle dans sa tête et il refaisait la scène encore et encore, trouvant mille manières de réduire l'individu en cendres.
Il commençait vraiment à faire sombre, et il avait bien vu défiler plusieurs milliers de passants depuis qu'il s'était assis là, contre ce mur. Il sentait chaque aspérité de la paroi granuleuse et abîmée par le temps s'enfoncer dans son dos.
N'y tenant plus, il se redressa, ramassa la pièce de 10 won et s'offusqua encore plus. Une pièce de 10 won? Il se fichait de lui ou quoi, qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir faire avec ça ! Il la serra de toutes ses forces entre ses phalanges jusqu'à en avoir mal à la main, tentative vaine d'expulser sa colère. La désintégration ne semblait pas faire partie des capacités de la pièce, alors Yoongi la lança de toutes ses forces sur le boulevard et la vit se faire rouler dessus par l'abondante circulation même à cette heure tardive, satisfait.
Il s'apprêtait à reprendre le cours de son interminable déambulation lorsque quelque chose d'inattendu dans le coin de son champ de vision retint son attention. Il fit volte face.

Les clés. Les clés du magasin duquel était sorti ce garçon aux cheveux roses, elles étaient restées sur la porte ! Il ne put réprimer un sourire satisfait. Pour une fois qu'advenait un juste retour des choses. Il arracha presque brusquement la clé de la serrure, et la contempla, au creux de sa paume. Au contact froid du métal rouillé, un frisson lui échappa. C'était une petite clé abîmée par le temps, accrochée à un minable petit trousseau qui ne comportait rien d'autre qu'un petit porte clé en mousse en forme de panda. De plus en plus ridicule. Avec une pointe d'amertume, il se mit à regretter que ses clés d'habitation ou de voiture ne soient pas également accrochées sur le trousseau, cet imbécile aurait probablement dû dormir dehors, cela dit ça allait probablement être son cas à lui aussi.

La bourrasque ambulanteWhere stories live. Discover now