scène 1

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Je déteste les samedis matins, c'est le truc que je déteste le plus au monde depuis trois ans.

Le samedi c'est le week-end, c'est fait pour dormir et Dieu sait combien le verbe "Dormir" et moi nous aimons.

Et la personne qui frappe à ma porte depuis quelques minutes le sait aussi bien que moi mais elle insiste malgré mon silence.

— Pauline ? Pauline! Ça fait cinq minutes que ton réveil sonne!

Je ne répondrais pas, n'insistez pas, Morphée est plus fort en persuasion, mais voilà que ça recommence et qu'une autre personne s'y met.

— Pauline! Lève toi, éteint ce satané réveil et bouge toi les fesses!!

— Ça va, ça va je me lève, vous complotez toutes les deux contre moi de toute façon ...

Six heures du matin le samedi, quelqu'un me punit forcément. Je me lève les yeux fermés et accueille, avec un grognement, la porte du placard laissée ouverte en travers de mon front. Frottant ma nouvelle bosse du plat de la main, je sors de ma chambre pour aller me faire un café, ignorant royalement le regard de mes deux colocataires en colère. Moi aussi je suis en colère Eloïse que tu aies tapé contre ma porte pendant de longues minutes, moi aussi je suis énervée Daphnée de subir les Mojito de la veille!

Je bois mon café les yeux dans le vide, réfléchissant à tous les maux de la terre, me promettant de me coucher dès mon retour à l'appartement pour faire la sieste tout le reste de l'après-midi, promesse que je ne tiens absolument jamais. Je sursaute quand ma tête heurte la table et me hâte vers la salle de bain avant de me rendormir. Eau fraîche sur le visage, cheveux attachés, maquillage camouflant l'immense fatigue, tenue confortable et présentable, baskets à semelles mémoire de forme : me voilà fin prête pour me rendre vers ce lieu de supplice qu'est mon travail du samedi.

Je sais, je sais je n'ai pas vraiment de raison de me plaindre mais osez dire que se lever à six heures le samedi est agréable! Ce travail, j'en ai besoin et il est plutôt cool si on ne tient pas compte de l'heure d'embauche.

Pour aider mes parents qui me soutiennent dans mes études, j'ai la chance d'avoir obtenu ce contrat trente deux heures dans la meilleure boulangerie de Bordeaux (oui on me paye pour dire ça). Huit heures tous les samedis et mes parents n'ont qu'à payer le loyer, je gère tout le reste.

Mon père est jardinier à la mairie de notre petit village et ma mère secrétaire dans le collège du village voisin. Des amours, vraiment, ils ont sauté de joie quand j'ai annoncé vouloir faire médecine, un peu moins quand j'ai expliqué vouloir effectuer mes études à Bordeaux. Mais comme toujours, ils m'ont soutenu du mieux qu'ils le peuvent. Alors, ok, me lever si tôt... c'est comme m'épiler la moustache mais l'odeur du pain chaud et des croissants quand j'ouvre la porte.... ça rattrape un peu.

— T'es presque en retard Pauline!

— Ça veut dire que je suis à l'heure mon Pierrot! je réponds avec un clin d'œil parce-que je suis toujours limite mais jamais en retard!

Le rituel est toujours le même : accueil par Pierrot le grincheux (trois ans ça crée des liens) et accessoirement le boulanger et mon patron ; passage par le vestiaire : j'entrepose mon sac à main et mon gilet dans le minuscule endroit que Pierrot ose appeler "casier", lavage des mains et tablier.

Le samedi est un jour chargé pour la boulangerie car proche de la faculté de médecine et d'un groupe hospitalier important. Plus les clients habituels et ceux qui vont faire leurs courses au centre commercial non loin.

Bref, autant dire qu'on ne chôme pas et c'est tant mieux sinon je ferais la sieste derrière le comptoir après avoir grignoté tout ce qui me passe sous la main. Pierrot est fort, très fort en boulangerie.

Midi, pause bien méritée jusqu'à seize heures, je me hâte de rentrer faire la sieste, j'ai la chance d'habiter proche de ma fac et de mon boulot et comme le temps est clément en cette fin mai, je m'y rend à pied.

Eloïse et Daphnée, mes deux colocataires adorées sont affalées sur le canapé devant une téléfilm revus mille fois en train de grignoter des carottes crues, régime avant l'été oblige. Je leur pique une carotte avant d'aller m'effondrer sur mon lit.

Cet appartement est génial, cossu, bien placé, nous avons chacune notre chambre et une grande salle de bain. La pièce à vivre avec la cuisine ouverte est lumineuse et la rue calme : mon paradis. Je partage ce cocon depuis trois ans avec ces deux amies d'enfance qui m'ont sauvé alors que je ne trouvais aucun logement étudiant. Et s'il me reste encore plusieurs années avant de finir mon cursus de médecine, elles ont choisi de faire infirmières et ont terminé dans un mois.

Je m'allonge avec un soupir de bien être sur mon matelas moelleux et je n'ai même pas l'impression d'avoir fermé les yeux cinq minutes que je suis réveillée par de grands cris de joie venant du salon.

— Les filles, je vous aimes beaucoup hein mais c'est la deuxième fois en moins de douze heures que vous mettez fin à mon sommeil.

Quand j'arrive auprès d'elles, des larmes coulent sur leurs joues et je peux voir l'intégralité de leurs gencives tellement elles sourient. Les cheveux hirsutes et les yeux gonflés, je les fixe sans expressions attendant les explications.

— On a des offres d'emploi dans les services qu'on avait demandés, toutes les deux!! me crient mes deux amies en me sautant dessus.

Elles sont tellement heureuses que je ne peux m'empêcher de danser avec elle dans une ronde ridiculement libératrice avant que le sujet se fraie un chemin dans mon cerveau et que je ne pose "LA" question :

— Dans quel hôpital?

Fin des sourires, mentons baissés, regards penauds... Je m'en doutais.

— Tu sais Pauline, nos parents, nos amis sont à Toulouse.... commence Daphnée.

— C'est à Purpan... termine Eloïse

— Je suis contente pour vous les filles. C'est super, vraiment... Quant à moi, j'imagine qu'il ne me reste plus qu'à prospecter dans les cités universitaires.

Nous soupirons toutes les trois, elles soulagées que je ne sois pas fâchée, moi désespérée à l'idée de quitter cet appartement et au souvenir des difficultés à trouver un logement étudiant.

Finalement, il est super ce téléfilm!

l'odeur du pain chaudOù les histoires vivent. Découvrez maintenant