Assise sur un banc dans la galerie du centre commercial depuis de longues minutes, j'ai les mains serrées autour de mon téléphone portable et le regard dans le vide. J'essuie mon énième refus de la journée.
J'ai tout étudié et il me reste l'option "dormir sous un pont"...
Je suis tellement dépitée que je ne vois pas arriver le petit garçon tenant un verre plein de glace pilée aromatisée, deux fois trop grand pour ses petites mains. La démarche gauche du jeune enfant, les nouvelles chaussures, le sol glissant, personne ne sait comment survient la chute mais ce dont tout le monde est sûr, quand le verre atterri sur mon joli pantalon en lin, c'est que ce granité est à la grenadine.
Ça à le mérite de me sortir de ma torpeur, je regarde mon pantalon, regarde le petit garçon, regarde mon pantalon et fond en larmes. Ça doit être le truc de trop.
— Je suis vraiment désolée Mademoiselle, soupire la maman du petit garçon en essayant d'éponger la grenadine du pantalon en lin avec une serviette en papier verte... qui déteint elle aussi sur le dit pantalon, déclenchant une nouvelle crise de larmes.
— Laissez tomber, ce n'est qu'un pantalon...
Je me lève du banc comme une âme en peine, une musique d'Adèle en tête pour accompagner mes pas lourds d'un chagrin démesuré. Je vois les gens regarder mon pantalon en lin beige mais aussi rouge et vert maintenant, je les vois regarder ensuite mon visage bouffi d'avoir pleuré, et ma gorge se serre à nouveau.
Je suis ridicule, franchement personne n'est mort, secoue toi Pauline... Je passe devant les vitrines aux couleurs de l'été, maillots de bain et petites robes de plage décorent la galerie mais je n'ai même pas la tête à faire du shopping.
Ça sent le monoï devant les parfumeries, les mamans sortent des boutiques avec des crèmes solaires et des casquettes pour leurs petits, les jeunes femmes avec bikinis tous plus petits les uns que les autres.
Moi, j'ai passé toute ma pause à écumer toutes les petites annonces de logements étudiants, a appeler tous les numéros susceptibles de m'aider dans ma quête de la minuscule chambre bruyante dont tous les étudiants rêvent car peu onéreuse.
Et chaque fois, c'est un refus que j'essuie. Nous sommes début juin et tous les logements sont déjà pris, je m'y prend trop tard...
Le problème c'est qu'il me faut un logement pour l'été, je dois rester travailler à la boulangerie et donc rester sur Bordeaux, hors je dois libérer mon appartement adoré fin juin. Pierrot augmente mon contrat tous les étés et les salaires aident beaucoup pour le reste de l'année, je ne peux donc pas abandonner.
Je n'ai même pas encore osé en parler à mes parents pour leur éviter du tracas. Je sais qu'ils se couperont en quatre pour m'aider quel que soit le loyer que je doive payer mais ils ont déjà tellement fait et il me reste au moins 6 ans d'études encore...
Je décide de poster une annonce sur les réseaux sociaux ainsi que sur les sites spécialisés, expliquant ce que je recherche, c'est à dire n'importe quelle pièce munie d'un lit et d'un lavabo dans les environs de la faculté et de la boulangerie... et je croise les doigts.
J'ai bien mérité une consolation, aussi un petit tour chez Starbuck est le minimum que je puisse faire. Une fois armée d'un Latté glacé et d'un énorme cookie au nutella, je téléphone à la maison. En cette fin d'après-midi, ils doivent tous deux être rentrés.
— Allo?
— Bonjour papa...
— Oh bonjour ma petite fille, comment vas- tu vas? Ça me fait plaisir de t'entendre, ta mère va être jalouse que ce soit moi qui ai décroché en premier eh eh , répond-t-il en riant.
Je souris malgré moi, mes parents me manquent, je ne peux rentrer que rarement entre les cours, les stages et le travail... Voilà presque trois mois que je n'y suis pas retourné.
— J'aimerais vous parler à tous les deux si tu peux appeler maman.
Je sent son hésitation mais il ne demande rien, il sait que je ne dirais rien avant que ma mère arrive.
— Coucou mon poussin, c'est maman, ça va? Tu nous fais peur...
Après les avoir rassuré en jouant la fille excitée de changer de logement et de rencontrer des gens nouveaux, je raccroche encore plus dépitée et retourne à la boulangerie finir mon après-midi.
Je dois avoir une tête de déterrée puisque même mon patron est gentil avec moi ce soir, bien que je ne parle jamais de mes problèmes au travail, se voir régulièrement pendant des années, ça rapproche et il doit avoir deviné.
Enfin, je dois avouer aussi que mon plus gros défaut c'est de ne pas savoir cacher mes émotions, je travaille dessus du mieux que je peux car, pour un médecin, c'est quand même cool de ne pas pleurer en annonçant aux patients un diagnostic ou en les accompagnant dans la fin de vie...
Comme tous les samedis, je rentre avec ma baguette de pain qui sort juste du four. Pierrot fait une fournée tardive tous les soirs devant l'affluence des sorties de bureau, des retardataires... et c'est mon petit pêché mignon. Daphnée me dit qu'à force, il me faudra réserver deux sièges dans l'avion ou dans le train pour y loger mes fesses mais mais mon bon 38 et moi on l'envoie se rouler dans l'herbe et croquant le quignon le baguette encore chaude avec un regard noir.
Je ne parle pas de mes recherches infructueuses à mes amies, ça n'a aucun intérêt.
Nous mangeons toutes les trois devant un rediffusion de F.R.I.E.N.D.S. et allons nous coucher.
En chemin pour la FAC le surlendemain matin, je reçois un sms d'un numéro inconnu:
MESSAGE DU 0667545739
Bonjour, je fais suite à l'annonce que vous avez posté concernant votre recherche de logement. J'ai une proposition un peu atypique à vous faire qui pourrait nous contenter toutes les deux. Si vous êtes intéressée, vous pouvez me joindre à ce numéro de préférence en début de soirée. Cordialement, Mme Célia HERIEUX".
A la fois excitée et intriguée, je me dis que c'est la seule réponse à caractère positif que je reçois depuis le début de mes recherches et que, ma foi, ça doit être un signe.
VOUS LISEZ
l'odeur du pain chaud
Ficción GeneralPauline a de la chance, elle réussit avec brio ses études de médecine, vit dans un super appartement en plein centre de Bordeaux avec deux colocataires géniales et travaille dans la meilleure boulangerie de la ville pour aider ses adorables parents...