Héros d'un autre temps

Chapitre 3

Cinq ans s'étaient écoulés depuis cette nuit où mon père avait repoussé un danger obscur avec une force qui m'avait jusqu'alors échappé. Depuis, notre vie avait repris son cours, mais avec une différence notable : chaque matin, avant que l'horizon ne se teinte des premières lueurs de l'aube, mon père et moi nous retrouvions dans la clairière à l'orée de la forêt, où le monde semblait retenir son souffle en attendant le lever du soleil.

L'entraînement était devenu notre rituel, un moment où le monde extérieur s'effaçait pour laisser place à la danse des épées et au chant des lames. Eldion n'était pas un maître indulgent ; il était précis, exigeant, poussant chaque mouvement à la perfection. "Chaque geste compte, Yuki," me répétait-il. "Dans le combat, une seconde d'hésitation peut être fatale."

Je m'élançais contre lui, mon épée de bois en main, essayant de me rappeler chaque leçon, chaque correction qu'il m'avait enseignée. Mes bras tremblaient sous l'effort, la sueur perlait sur mon front, et chaque impact résonnait dans mes os. Mais souvent, je me trouvais dépassée par sa vitesse et sa maîtrise de l'art. Mes bras peinaient à suivre le rythme, et plus d'une fois, je trébuchais sur mes propres pieds, ma respiration haletante trahissant ma frustration.

"Père, je... Je n'y arrive pas," avouai-je un matin, le souffle court, sentant la morsure de l'échec. "Je ne serai jamais aussi forte que toi."

Eldion abaissa son épée et s'approcha de moi, son regard bleu scrutant mon visage avec une intensité qui me forçait à ne pas détourner les yeux. "Yuki, être fort ne signifie pas ne jamais tomber. La force vient de la capacité à se relever, encore et encore, même quand tout semble perdu."

Il m'aida à me redresser, ses mains fermes mais douces me guidant. "Tu as déjà la force en toi, ma fille. Tu l'as toujours eue. Elle n'est pas dans la rapidité de l'épée ou dans la puissance du coup, mais dans ton cœur, dans ta volonté de te battre pour ce qui est juste."

Ces mots résonnaient en moi alors que nous reprenions notre position, prêts pour un autre assaut. La lumière du jour commençait à percer à travers les arbres, dessinant des ombres longues et tortueuses sur le sol de la clairière.

Le combat reprit, et avec lui, mon esprit se vidait de tout sauf du bruit de nos épées et du rythme de nos pas. C'était une danse, presque belle dans sa brutalité, une conversation silencieuse entre mon père et moi. Je commençais à anticiper ses mouvements, un sourire se frayant un chemin sur mes lèvres alors que je parais un coup et en retournais un autre.

"Voilà," sourit Eldion, parant facilement mon attaque mais avec un signe de tête approbateur. "Tu apprends, Yuki. Tu grandis."

La séance d'entraînement se termina avec le soleil haut dans le ciel, ses rayons dorés réchauffant la terre froide de l'aube. Nous nous assîmes sur le sol de la clairière, reprenant notre souffle, le calme revenant doucement.

"Tu te souviens de la nuit où tu m'as demandé de t'enseigner à te battre ?" demanda Eldion en me lançant un regard amusé.

"Oui," répondis-je, un rire s'échappant de mes lèvres malgré moi. "Je pensais que je pourrais apprendre en quelques semaines."

"La patience est aussi une forme de force," dit-il, ses yeux suivant le vol d'un oiseau au-dessus de nous. "Et chaque jour, tu deviens plus forte, pas seulement en tant que guerrière, mais en tant que personne."

Ces mots étaient un baume pour mon âme parfois encore incertaine. Sous l'égide d'Eldion, je m'étais forgée non seulement en tant que combattante mais aussi en tant que jeune femme consciente de sa place dans un monde souvent cruel et impitoyable.

Les années d'entraînement m'avaient appris plus que je n'aurais jamais pu l'imaginer, me préparant à affronter non seulement les batailles physiques mais aussi les tempêtes émotionnelles. Et alors que nous nous levions pour retourner à l'orphelinat, je savais que, quelle que soit la forme que prendrait l'avenir, je serais prête.