Son message m'avait bouleversé. Un univers des possibles était apparu devant mes yeux, un monde où je ne serais plus seul, livré à moi-même, dans cet espace sans couleurs, aux vies ternes, aux mouvements si lents et pourtant parfois trop rapides pour que j'arrive à les suivre.
Mais je m'étais vite repris, j'avais effacé ces fragments qui avaient échappé à mon contrôle, qui avait humidifié mes joues et le voile opaque avait retrouvé sa place.
Dans un sens, il me réconfortait. N'était-ce pas préférable de ne rien ressentir ? Qu'un vide habite notre cœur, pour moins souffrir, pour moins s'exposer ?
Mon esprit devenait une terre infertile et je poussais un dernier et long souffle, avant de me lever.
— Je crois qu'il vaut mieux que je parte.
L'espoir était bien trop lourd à porter. Je m'étais enfoncé dans des sables mouvants sans fond, les pieds piégés dans une éternelle tourbe. Plus j'essayais de m'en extraire et plus je comprenais que cela serait impossible. C'était bien plus reposant de rester là, sans bouger et de continuer à observer les vas-et-vient des courants sur lesquels je n'avais aucune prise. Non, l'espoir ne m'appartenait pas.
Dans des gestes automatiques, comme coupé de la réalité, je repoussais mon siège et je quittais cet endroit chaleureux. Je retournais à ce quotidien insensé.
Bien plus tard, quelques heures, quelques jours, où tout se confondait, je franchis les grilles du cimetière.
C'était un lieu reposant. Trop calme, et pourtant, même si nous apportions nos souffrances, nos larmes, nos morts, cet espace hors du temps fourmillait de vies.
Les arbres bruissaient, les oiseaux pépiaient, le vent se faisait douce caresse. Les paupières closes, je pouvais imaginer une clairière bercée par la légère brise au parfum printanier. Le soleil souriait, radieux. Le chant de la nature résonnait et rendait grâce aux milliards d'âmes qui vagabondaient dans ces grands pâturages.
Au loin, une silhouette réconfortante s'y trouvait. Je le savais en paix. Il l'était pour nous deux.
Mes pas incertains m'amenèrent jusqu'à cette pierre. Ma gorge se serrait pendant que je restai muet. Elle se remplissait de centaines de mots, de syllabes sûrement magnifiques et pourtant imprononçables. Que dire ?
Mon talon heurta la terre ferme, parsemée de cailloux. La pointe de mes orteils l'effleura. Je répétais ce mouvement incessant.
Mon amour.
Je commençais toujours par m'adresser à lui ainsi. Telle une prière, telle une salutation religieuse, comme si me trouver devant cette pierre taillée, face à son ancienne enveloppe charnelle, ouvrait la porte de mes lèvres.
Une vieille femme arrangeait un bouquet à moitié fané, deux rangs devant moi. Le dos voûté, les mains pourtant assurées. Elle se tourna, nos regards se croisèrent, un sourire compréhensif s'immisça. Elle hocha la tête, murmura un « bonjour » inaudible puis elle partit.
Vision éphémère d'un ballet rythmé au glas d'un gong inconnu.
J'étais perdu.
Hier, je me suis rendu au café en bas de la rue. Tu sais, celui dont je te parle souvent. Le patron est avenant et fait preuve d'une certaine attention à mon égard. Il est joyeux, dynamique et rayonnant. Tu l'aurais détesté. Il s'appelle Hope. Ça aussi, tu l'aurais détesté. Tu n'aimais pas ce qui semblait trop beau pour être vrai. Tu disais toujours que cela cachait de sombres secrets. Mais moi, je l'apprécie... Quand je lui parle, j'ai l'impression d'exister.
J'aspirai une grande goulée d'air, soudain mal à l'aise.
Je ne sais pas si j'ai le droit de ressentir ça. J'ai peur... J'ai peur de te trahir, en un sens. J'ai peur que si je m'autorise à éprouver quelque chose, alors... Alors, j'ai peur que tu disparaisses...
Ces mots, je les avais répétés des dizaines et des dizaines de fois. Incessants, paralysants, gémissants. Ils hantaient mes nuits. Ils m'accompagnaient où que je me rende.
Et si en vivant d'autres choses, j'oubliais nos souvenirs.
Et si redécouvrant l'amour, quelle que soit sa forme, je perdais ce qui faisait le nôtre.
Et si en éprouvant la tristesse, la douleur, la joie, le désir, je ne parvenais plus à ressentir toutes ces émotions que j'ai traversées à tes côtés.
Et si juste en rêvant... Juste en espérant... Si en faisant cela, je tournais le dos à tout ce que nous avions partagé ?
M'en voudrais-tu ? M'en voudrais-je ?
J'aimerais tellement que tu puisses me répondre. J'aimerais tellement y voir plus clair...
Hope m'avait demandé de vivre à nouveau, mais c'était effrayant. J'étais tétanisé.
Mes mains se crispèrent et les épines égratignèrent ma paume. La piqûre vive me ramena à la réalité.
Je t'ai apporté des fleurs.
Les roses, les œillets et les germinis au gradient orangé rappelaient la lumière déclinante de la journée. Il n'y avait pas de blancheur, pas de noirceur, juste des nuances chatoyantes, comme il les aimait.
J'enlevai l'un des bouquets fanés sur la stèle et le remplaçai par celui, frais, que je tenais. Puis, j'allai chercher de l'eau et j'arrosai chaque morceau de nos passages, près de lui.
Enfin, je me penchai, et en dernier au revoir, je caressai la pierre tiède.
Je reviendrai vite. Attends-moi...
Et ainsi, je me remis en marche, reprenant ce quotidien vide de sens.
Comme chaque jour, je n'avais trouvé aucune réponse à mes questions, à mes hésitations, mais je me sentais allégé. Je lui avais transmis une partie de mon fardeau. Même dans l'au-delà, j'étais convaincu qu'il veillait sur moi.
J'avais besoin d'y croire pour ne pas perdre complètement l'esprit.
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Espoir ne tient qu'à un café [Terminé]
RomanceIl y a deux ans, Michael a perdu son âme sœur. Avant, il était écrivain. Désormais, il court à la recherche de ses mots. Chaque semaine, alors qu'il se rend à un petit café près de chez lui, il se confronte au vide qui l'habite. Les pages vierges, s...