LOST IN THE MOMENTS

(1)

Je regardais à travers le hublot. Une femme passa, je la connaissais. Je savais que je la connaissais, mais à ce moment elle m'était comme inconnue, trop différente de l'image de la femme que j'avais dans ma mémoire. Je ne la reconnaissais plus.

Ses lèvres s'entrouvrirent comme pour dire quelque chose, mais elle se ravisa et referma la bouche. Elle fit un quart de tour sur elle-même pour se retrouver face au miroir. Elle paraissait fatiguée, exténuée dirait ma prof de français. Je savais que j'avais une professeur de français même si cela me paraissait absurde. Je ne savais pas ce que j'étais, qui était cette personne à la mémoire étrange qui observait un monde familier, cachée derrière un hublot.

Je me reconcentrai sur cette femme qui semblait être proche de moi. Spatialement comme sentimentalement. Elle orienta la tête, furtivement, dans ma direction. Je me figeai sur place. La peur d'être prise en flagrant délit d'observation intrusive était telle que je mis plusieurs secondes avant de me rendre compte que j'étais invisible pour elle. Pour m'en assurer, je lui fis des grimaces, je tentai de la faire réagir, mais je n'étais qu'une fille derrière un hublot. Je n'étais pas dans le même monde qu'elle.

Elle se retourna, mis la main sur la poignée de la porte, cette porte qui me semblait si loin, si inaccessible. Et elle sortit.

Je ne remarquai ce détail qu'après. Ses yeux étaient-ils rougis à cause de larmes ? Ou bien n'était-ce que mon imagination? Je me sentis mal, je voulais aider cette femme, lui offrir mon soutien. Je restai là, debout, immobile, à fixer cette pièce maintenant vide, une salle de bain.

Puis je me vois, je suis derrière la vitre de la douche à contempler un carrelage vert et blanc. Je jetai un regard au miroir et je me surpris à voir mon reflet, terne, mais une image quand même. Je sortis de la douche, empoignai la porte et je me rendis enfin compte de cette évidence : la femme dans cette pièce était ma mère.