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On était en automne. Je m'étais installée sur le parvis du lycée, seule. Il bruinait. J'étais assise à l'abri sous un pin, le long du grillage. Une musique enveloppante, pas trop forte, mais pas non plus trop faible dans mes écouteurs. Je commençais à ne plus voir. Le monde m'apparaissait tout flou. Sans fixer aucun point, il me montrait une autre facette de lui-même.

Lorsque je repris contact avec la réalité, la lumière m'agressa, le ciel d'une couleur indéfinissable, blanc, gris, sans pouvoir faire la distinction entre chaque nuage. Le monde m'apparaissait terne, sans couleur. Les maisons aux toits noirs et aux murs gris, les pins qui se préparaient pour l'hiver, délaissant peu à peu leurs épines colorées pour d'autres plus sombres, la ville goudronnée et étanche. Je fermai les yeux pour chasser la luminosité, que mes pupilles se rétractent et retrouvent une taille normale. J'entrouvris mes paupières, laissant filtrer seulement un trait de lumière pour laisser le temps à mes yeux de s'adapter.

Et quand je les soulevai en entier, je le vis enfin. Il était là, devant moi, lumineux. Pas lumineux qui blesse les yeux, mais un lumineux plus doux, un lumineux agréable. Il se tenait là, sans bouger. Il imposait sa présence à tout l'espace autour de lui, sans que quiconque ne trouverait à y redire. Il était là, verdoyant et plein de vie. Ses ramures déployées, ses feuilles vert clair, humides de pluie et ses fruits dissimulés entre les branches, il était magnifique. Il était une tache de couleur dans ce paysage lugubre. Il était la vie dans ce monde de bitume. Mais surtout, il était celui qui m'a permis de revoir les couleurs : les tuiles orangées d'un mur de clôture, le ciel redevenu bleu, le parterre de fleurs d'une propriété privée. Tout me paraissait plus intense. Et lui, tel un roi, maîtrisait sa cour par le bout de ses branches.

LOST IN THE MOMENTSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant