Chaotic Mind [SOUS CONTRAT D'ÉDITION]

Chapitre 5

Scarlett - 14 ans

Je zigzague à travers les passants sur la planche de mon skate. J'ai exactement quarante-huit minutes de retard, autant dire que je viens de signer mon arrêt de mort. J'entends d'or et déjà la voix légèrement rauque d'Owen me briser les tympans, si bien que l'envie de faire demi-tour me traverse l'esprit. Mais mes jambes en décident autrement, au contraire de ma volonté, ces dernières accélèrent le rythme afin de rejoindre mon meilleur ami au skatepark abandonné que l'on a désigné comme notre petit coin à nous.

Tous les soirs, après les cours, nous nous rendons au skatepark, histoire de décompresser un peu, de nous isoler du reste du monde. On y parle de la pluie, du beau temps et de choses bien plus sérieuses comme mes parents. On y fume des clopes aussi, juste pour passer le temps. C'est notre endroit à nous, le genre d'endroit qui nous permet de nous enfermer dans notre bulle, sans que personne ne nous prenne la tête. Là-bas, j'oublie que je suis la pauvre petite Scarlett maltraitée par ses parents. J'oublie que je suis follement amoureuse du frère de mon meilleur ami... et que mon meilleur ami est amoureux de moi. J'oublie que, demain encore, je devrais me rendre au cabinet de ma psy qui, avec les années, devient aussi barge que moi. J'oublie que j'ai changé et que la personne que je suis en train de devenir ne me plait pas du tout. J'oublie qu'il y a quelques mois, j'ai avoué mes sentiments à H. J'oublie qu'il a ri comme seule réponse.

Là-bas, je suis seulement Scarlett. Il est seulement Owen. Et le temps d'un couché de soleil, ma vie devient plus acceptable. Les souvenirs s'envolent, la douleur dans mon estomac disparaît et le reste du monde devient blanc comme neige, tout comme mon existence.

La semaine dernière, j'ai lu un roman, le genre de ceux qui nous marquent. Il traitait des univers parallèles. J'aime cette image. Un univers possédant son propre espace temps. Un événement capable de changer absolument tout. Parfois, je me demande à quoi ressemblerait mon univers parallèle si j'étais née dans une autre famille, ou si je n'étais pas tombée de l'arbre. C'est ridicule, je le reconnais, mais ma vie à basculé le jour où cette fichue branche à cassée. Et si ça n'avait jamais été le cas ? Mes parents seraient-ils restés des gens bien ? M'auraient-ils aimé comme ils l'auraient dû ?

C'est tellement frustrant de se dire qu'un seul événement peut absolument tout changer dans une vie. Frustrant et fascinant, je dois le reconnaître. Prenons un exemple moins dramatique. La semaine dernière, j'ai joué à action ou vérité avec un groupe d'individus que je devrais considérer comme mes amis. J'ai soigneusement évité de choisir action puisque je savais que j'allais devoir embrasser un des mecs du groupe, toutefois, Cindy m'a demandé pourquoi je vivais chez les Cross, je n'ai pas voulu répondre, elle a insisté, je l'ai frappée et je me suis faite exclure trois jours. Dans un autre univers, je n'aurais peut-être pas porté autant d'importance à mon premier baiser, aussi, j'aurais choisi action et Cindy n'aurait pas eu le nez cassé.

Je ne saurais dire pourquoi je porte, tout d'un coup, un si gros intérêt à cette théorie carrément tirée par les cheveux. Peut-être parce que ça me rassure de savoir que, quelque part, dans un autre espace temps, j'ai une vie bien moins compliquée. Dénuée de démon, de douleur et de noir.

Je sors de mes songes, lorsque je vois apparaître le vieux skatepark abandonné à la sortie de Fargo. Il a été jugé trop dangereux il y a plusieurs années, la ville aurait dû le remettre en état mais après huit ans d'attente, on doit se rendre à l'évidence, ce skatepark représente le dernier problème du maire. Depuis, la nature a repris ses droits, cassant ici et là le bitume des rampes, s'enroulant autour du fer. Le tout offre une ambiance légèrement flippante, mais à la fois, tellement rassurante : tout finit toujours par reprendre sa place. Peut-être qu' un jour moi aussi je serais en mesure de reprendre mes droits sur ma vie. Les murs ont été tagués il y a plusieurs années, laissant une trace supplémentaire du passage de l'homme en ces lieux. Derrière le lierre, on aperçoit des prénoms, des dessins qui ne laissent que peu de place à l'imagination...