Le chien noir

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D E Y T H A N


L'errance paraît longue quand on n'a aucun ciel à contempler. J'avais l'impression que cela faisait des heures, des jours, que je suivais le même sentier enneigé, la même pente de cendres. Je marchais d'un pas lent, traînant les entrailles de ma vie : pas de regrets ni de remords mais une profonde tristesse.

Les larmes coulaient d'elles-mêmes alors que j'étais fendu d'un sourire. Hurler de rire ou de désespoir, bientôt cela n'aurait plus aucune importance. Je serai enfin chez moi, là où est ma place. Entre deux inspirations saccadées, je regardais ce chemin vierge de tout souvenir et je le marquais de mon histoire. Je me remémorais...

* * *

Quand j'ouvris les yeux, je me trouvais en pleine forêt, gisant sur un sol de pavés et d'ossements. Les arbres étaient fripés, parcourus de veines jusqu'aux doigts pourris qui leur servaient de brindilles. Ils se refermaient sur de petites lanternes de fer noir qui éclairaient le bois.

Le silence...

Tout mon corps me parut lourd, comme si quelque chose était assis sur moi. Pourquoi n'arrivais-je pas à me relever ? Mais alors que je me décollais difficilement du sol, un crépitement me fit tendre l'oreille. Les bourrasques et l'agitation des buissons. Mon cœur commençait à s'emballer, ce ne devait pas être qu'un simple coup de vent.

Je voulus m'enfuir mais quelque chose me happa le pied. Cela poignait dans la chair, pressait mes chevilles.

Encore lui.

J'essayais de le voir du coin de l'œil. Il semblait toujours aussi massif, une énorme touffe de poils bleutés mêlés d'écarlate. Il poignait fermement dans ma chair avec ses mâchoires, mes yeux se serraient sous la douleur. Il n'avait pas l'air heureux de me revoir à son regard de fou enragé. Le monstre me traîna jusque dans les profondeurs de la forêt.

Dans le brouhaha de feuilles mortes, un bruit lourd et visqueux me figea. Qu'est-ce que... Des sanglots le suivaient. Ils venaient comme un murmure à mes oreilles. Le chien arrêta de me tirer, sa mâchoire se détendit. Je me relevai comme je pus et jetai un œil au reste du monstre. Huit pattes en lambeaux, une gueule aveugle, dégoulinante de crocs, et un dos écorchés, percés de piques, de crucifix et de torches.

Il me dévisagea le temps de me remettre sur pied puis, s'engouffra dans les fourrés. Je redoutais ce qu'il y avait derrière cette verdure, je ne voulais pas mais je n'avais pas le choix, comme à chaque fois. Je lui emboîtai donc le pas comme je pus.

Un chien sans yeux qui me guide, vous parlez d'une ironie.

Passé quelques buissons et arbustes, je discernais peu à peu une grande silhouette à l'aspect terne. Elle était au pied d'un grand cyprès blanc, l'air suppliant. L'arbre était mort et la chose poussait de lents gémissements devant lui. Elle le caressait de ses griffes, l'air aux aboies. Le cyprès lacéré, elle s'écroula à ses pieds dans un hurlement d'agonie entremêlé de pleurs, des plus inhumains.

Je ne savais pas pourquoi mais je voulais l'aider. J'avançai vers elle, le pas lent, éclairé du faible feu dorsal du chien.

Il y eut un silence, presque apaisant.

Elle mit sa main sur la mienne. Je sentais les flétrissures de sa peau, le doux rythme de son cœur au toucher de ses veines apparentes.

« Je suis désolé, fils... »

À ces mots, j'eus le souffle coupé, je retirai brusquement ma main. Quoi ? Ce qui se tourna alors vers moi me fit tomber. Deux yeux couverts de cendres, une bouche démantibulée, la mâchoire pendue au reste par quelques tendons tenaces.

Conflagration - L'HunecléideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant