La porte au parapluie se referme derrière moi, apportant avec le claquement sec tous les remords que j'eprouvais pour le meurtre des hommes.
La Umbrella Academy est un groupe de sept (maintenant huit) enfants aux dons particuliers. Le but de leur (notre) père adoptif est de sauver le monde de je-ne-sais-quelle menace qui, apparement, plane au-dessus de nous telle une épée de Damoclès. Grace est leur (notre) mère adoptive, un robot attachant qui sait aimer quelqu'un a sa juste valeur.
J'adore cet endroit, même si je vais y rester pour l'éternité, literalement.
Je suis Reginald, qui est maintenant mon père (je n'ai jamais eu de famille auparavant), dans le manoir. Il me fait visiter toutes les pièces, dont ma chambre. Elle est très jolie, les murs sont beiges, le couvre lit lime.
Nous descendons au salon. Les autres sont en train de se parler, se chamailler. Je remarque un jeune garçon brun qui roule les yeux devant la scène des autres. Voyant Reginald, les six enfants se figent et s'asseoient docilement, la mine basse. Le regard curieux d'un jeune brun s'attarde sur moi. Il a le teint basané, de beaux yeux en amandes. A voir comment ils sont installés, je dirais qu'il est numéro 6.

Papa: Je vais fermer les yeux devant ce manque de respect flagrant contre mes règles... Seulement pour vous présenter votre nouvelle soeur.

Les jeunes échangent des regards, des murmures, des bourrades.

Papa: Voici numéro 8.

Je fait glisser mon regard violet mais brusque sur les sept enfants. Mes cheveux blancs encadrent mon parfait visage pâle, ma frange survole mes iris pénétrants. Je me lèche nerveusement les lèvres. Elles sont sèches.

Moi: Salut.

Ma voix sonne bizarrement, comme si j'avais avalé de la terre. Ou du sable.

Papa: Elle est imortelle. Ce qui, naturellement, veux dire qu'elle guérit rapidement, court plus vite et sa force est décuplée. Aussi, elle lit dans les pensées.
Moi: Effectivement, mais seulement si je le veux. Sinon, je me noierais dans un vaste océan de reproches, compliments, injures, stratégies, et plus encore. Inutile de vouloir me cacher quelque chose...

Mon regard se reporte sur le jeune brun qui a roulé les yeux. Il est d'une beauté frappante, autant par ses yeux verts mouchetés de noisette que par sa peau lisse, sans défaut. Ses mèches brillantes caressent son front. Une drôle d'envie me prend; j'aimerais glisser ses cheveux derrières ses oreilles. Quoi?! Reprend-toi ma vieille, tu perds la boule!
Je secoue la tête, ce que le jeune homme semble remarquer, car il me jette un regard accusateur.
Je dois prendre sa main.
... Quoi?!
Je dois prendre sa main, je n'ai aucune idée pourquoi. L'intuition.
Mes doigts se ferment dans le vide, mes jointures blanchissent sous la pression.

Papa: Voici 1,2,3,4,5,6 et 7.

A leurs noms, ils se lèvent.

Papa: Qui, malheureusement, n'a pas de particularité.

La jeune brune glisse vers moi des yeux piteux, mais plein de détermination.

Moi: Cinq.

J'articule le mot, séparant chaque lettre avec application. Je fixe sur lui un regard de braise. Il lève un sourcil.
Sans un mot, je marche vers lui. Rendue a quelques centimètres, je plonge mes yeux dans les siens. Ses pensées sont troubles, trop entremêlées entre elles pour que je discerne quoi que se soit de clair. Des bribes de phrases me parviennent, mais pas plus. Bon Dieu, qu'il a un esprit logique! Dur a déchiffrer, stratégique.
Je me met a sa gauche. Ma main emprisonne la sienne. Avant qu'il ne puisse la retirer, j'enroule mes doigts avec les siens.
Nos yeux virent au blanc. Nos pieds décollent du sol. Nous nous mettons a flotter a quelque centimètres du sol. Nos doigts blanchissent, deviennent éblouissants.
Mais je n'ai conscience de rien. Je suis dans sa tête. Ou plutôt, dans le futur...

Des ruines. Partout. Du feu, de la terre, des éclats de bois. Un océan de débris calcinés.
*Changement de scène*
Des lèvres collées, des mains autour de hanches féminines. Des cheveux bruns et blancs.
*Changement de scène*
Des larmes. Un torrent de larmes sur des joues lisses, sans défaut. Une bouche figé dans un gémissement silencieux.
*Changement de scène*
Un visage pâle aux longues mèches immaculées criant, de larges bras entourant un corps frêle qui se tortille. Un cadavre. Du sang. Des pleurs.
*Changement de scène*
Deux paires d'yeux qui se confrontent, insolents. Provoquants.
*Changement de scène*
Un œil de verre.
*Changement de scène*
Une guerre nucléaire.
*Changement de scène*
Une série de meurtres, du rouge qui s'étale sur le sol de bois. Une hache. Un couteau à beurre. Une tasse de café. Une table de conférence. Une femme dans une robe extravagante. Une jeune fille noire, au regard mauvais.
*Changement de scène*
Un départ précipité, des pas qui résonnent dans une ruelle, une silhouette qui trébuche. Des genoux qui heurtent un trottoir. Le visage baigné de larmes qui hurle "Cinq" a repitition.
*Changement de scène*
Deux mains soudées, deux regards amoureux, deux souffles partagés...
*Retour a la réalité*

Je trébuche et tombe au sol, a quatre pattes. Le souffle me manque. Je plaque une main sur ma gorge pour la masser, l'air se fait rare dans mes poumons. Je prend une goulée d'air avant de tousser du sang sur le tapis.
Derrière moi, Cinq grogne et râle, la voix rapeuse. Il est debout, mais chancelant.
Je me lève et le fixe, indécise sur ce que je dois penser de tout ça.

Cinq: T'a fait quoi là?!
Moi: Je ne sais pas, ok! C'est l'instinct qui m'a dit de prendre ta main.
Cinq: Tu as lu les pensées de moi du futur...

Les souffles de tout le monde se suspend. Je soupire.

Moi: Je ne savais même pas que je pouvais faire ça. Mais ça fait un mal de chien!
Cinq: Tu parles! J'ai plus d'air!

Reginald toussote. Je retourne près de lui, une grande aversion pour ce que j'ai vu. Que ce soit le futur ou pas, notre destin peut toujours changer. Cela dépend des choix que nous faisons. Je me fait la promesse de ne jamais embrasser cet odieux personnage, aussi joli soit-il...

Mr HargreevesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant