Chapitre 19

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Trois jours avaient passés, et Alexeï n'avait toujours pas parlé de la mystérieuse présence à son épouse, ni à Solarys. Il s'en voulait terriblement d'avoir un secret vis-à-vis de Lucille. Son doux sourire, sa bienveillance... elle s'inquiétait pour sa santé. Mais il y avait tellement de choses dont il ne se souvenait pas... il craignait de ne jamais guérir totalement.

Solarys lui avait assuré que ses trous de mémoire étaient normaux après le choc qu'il avait subi, et que le temps saurait faire son office. Alexeï commençait à douter. Solarys se montrait affable, mais il devenait envahissant. Et Alexeï se lassait de le croiser chaque fois qu'il sortait de chez lui. Les coïncidences se faisaient trop nombreuses à son goût.

Alors il se terrait dans son atelier. Lucille taillait des gemmes chez un excellent joaillier, à quelques minutes de leur maison à pieds. Il aimait la solitude qui l'entourait chaque fois qu'il fermait la porte derrière lui. Et tandis que ses mains s'agitaient et créaient, que le Feu et le Vent chantaient autour de lui, il oubliait ses problèmes, il oubliait Solarys, il oubliait jusqu'à son propre nom. Il s'immergeait dans l'instant présent, concentré, et rien d'autre ne comptait.

Alexeï releva le regard, cligna des yeux, ébloui par les rayons du soleil couchant. Vraiment, il devrait penser à fermer le rideau plus tôt pour ne pas être gêné par la luminosité. Et peut-être était-il temps qu'il s'arrête, d'ailleurs.

Il se leva, massa ses reins, fatigué d'être resté immobile si longtemps, et étira ses ailes. Une brusque envie de voler le démangea. Depuis quand ne s'était-il pas octroyé ce plaisir ? Avec tout le travail qu'il y avait eu au potager, à l'atelier, avec tous les menus services que lui demandait Lucille, les visites impromptues de Solarys qui venait s'enquérir de sa santé... Il y avait des jours qu'il n'avait pas volé. Bien trop longtemps.

Le crépuscule était déjà là, mais Alexeï décida qu'il lui restait un peu de temps. Alors il quitta son atelier, se glissa derrière la maison en se sentant vaguement coupable, et bondit dans les airs.

Un frisson de pur plaisir le traversa ; il ferma les yeux quelques secondes, gouttant l'air frais sur son visage, le vent sous ses ailes. Une bénédiction. Il profita du moment pour détailler le paysage. Leur village était vraiment enclavé dans une grande forêt, et au nord, il devinait les premiers contreforts d'une chaine de montagne. Prudent, Alexeï décrivit un large cercle, avant de se poser dans leur jardin.

Les buissons lui rappelèrent l'étrange bête écailleuse aperçue trois jours plus tôt. Ce mystère l'intriguait aussi. Il n'aimait pas les forêts – les arbres y étaient souvent trop serrés pour s'envoler en cas de danger – mais il était déterminé à avoir le fin mot de cette histoire.

Un coup d'œil lui apprit que le soleil disparaissait derrière l'horizon. Non, de nuit, c'était trop risqué. Demain, par contre...

Oui, c'était décidé. Demain, il entrerait dans la forêt pour chercher des traces et des indices sur cette étrange bestiole. Car il le pressentait, elle était liée aux murmures.

Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant