Chapitre 1 : Lorenzo

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Avachi contre le sol glacial de cette sombre pièce qu'est mon bureau, je contemple d'un air absent le plafond, attendant, dans une désillusion totale le moindre signe.

Quel signe ? Je n'en ai aucune idée.

Je prends une profonde inspiration dans le but de calmer les pulsations erratiques de mon cœur, sentant monter dans les tréfonds de mon âme, une désagréable sensation, une étouffante chaleur qui brûle chaque parcelle de ma peau, annihilant tout sur son passage, tel un ouragan déchainé d'une puissance dévastatrice.

Dans mon esprit, un seul mot résonne en boucle infinie : vengeance. Ce simple mot me ronge, me dévore, me consume les entrailles. Je suis obnubilé par la vengeance, je ne jure plus que par ça, je ne vis plus que pour ça. Si je n'avais aucune attache qui me poussait à me lever le matin et affronter une nouvelle journée, à présent, j'en ai et c'est la plus addictive de toutes les drogues du monde.

La vengeance, une diablesse tentatrice, enroule ses bras autour de moi et d'une voix de velours, me murmure à l'oreille, pervertit mes pensées. De ses mains, elle caresse mon visage, empoisonnant toute surface qu'elle touche : je ne suis plus que son humble esclave, à genou face à elle.

D'un geste las de la main, j'écarte les quelques mèches rebelles qui obstruent ma vue puis exhale dans un long soupir, tout l'air que j'ai gardé dans mes poumons, incapable de correctement respirer.

- Il n'y pas de place pour les faibles, murmuré-je à moi-même en serrant le poing.

Ce geste si anodin me pétrifie de rage, me replonge dans les ténèbres les plus profondes de la fureur et me rappelle ce que l'on m'a arraché, ce que l'on m'a fait subir : ces nuits interminables passées à prier que quelqu'un ne vienne me sauver. J'ai été réduit à cela, moi qui ai si longtemps chanté les louanges de l'invincibilité dont je pensais à tort bénéficier.

Ma fierté a été bafouée, mon nom trainé dans la boue et ce doigt en moins, un rappel éternel de la faiblesse humaine : ma faiblesse.

J'ai essayé d'avancer, d'oublier cet épisode mais chaque bruit, chaque parole prononcée me tétanisait, les recoins sombres devenaient des sanctuaires dont je ne pouvais plus franchir la porte et rongé par cette peur excessive, je me suis isolé dans ce château à la sombre réputation.

El Castillo d'El León sera toujours poursuivi par cette partie sombre de son passé, cette peur injustifiée d'un endroit perché sur le haut d'une immense falaise, farouchement gardé par deux imposants et majestueux lions en bronze. Plus jeune, j'ai toujours été fasciné par ces silencieux gardiens, j'imaginais que tard le soir ils prenaient vie, aux aguets, à l'affut du moindre intrus. Ma mère tirait profit de cette peur insensée, elle entretenait le mythe et nous disait qu'ils adoraient dévorer les enfants désobéissants et que si l'un d'entre nous avait le malheur de se retrouver en face de l'une de ces créatures, il n'avait plus qu'à faire ses prières.

Je ne sais pas trop quel genre de mère s'amuserait à effrayer ses propres enfants mais la mienne jubilait à l'idée de nous voir émoustillés sous nos couvertures à huit heures du soir, nos dents brossés et nos pyjamas sur le dos. Elle a toujours eu cette malice, cette scandaleuse insolence, cet éclat maléfique qui fait qu'absolument personne ne pouvait l'affronter, à part notre père.

D'ailleurs, ils s'entendent comme chien et chat : se chamaillent jusqu'à l'usure, s'insultent, se tournent autour puis se réconcilient sur un oreiller. Certaines personnes pourraient affirmer qu'ils n'ont plus rien à faire ensemble, qu'ils ont fait leur temps, que l'amour ne dure jamais très longtemps entre d'aussi forts caractères mais ils se trompent sur une chose : mes parents aiment se battre, ils aiment le conflit. Certains couples trouvent leur harmonie dans la monotonie étouffante d'une bonne vieille routine mais mes parents sont fougueux, prêts à déclencher un brasier à partir de la moindre étincelle et l'attiser jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que des cendres.

La vengeance de Lorenzo De Hayos.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant