Evenn,
Je me réveille allongée sur une banquette dure. J'ai froid. J'ouvre les yeux.
__Evenn ? Elle s'est réveillée ! s'écrie Arvel, est-ce que ça va ?
Il pose une main sur moi, mais je me soustrais aussitôt à son toucher. Les autres se penchent vers moi. Tous les autres, Nutrix, Nebula, et même Smarem, qui est au volant du véhicule. Mais pas Khorben. Lui, après un vague coup d'oeil de mon côté, s'en retourne à la contemplation de la nuit via la vitre sale. Pourtant, il garde ma tête délicatement posée sur ses genoux. Je me redresse tant bien que mal.
__Qu'est-ce qui s'est passé ? réussis-je à demander malgré ma gorge douloureuse.
__À ton avis ? lâche Nebula comme si elle voulait me mordre, ils m'ont obligée à t'échanger contre le générateur.
__Où est-ce qu'on est ? Où est-ce qu'on va ?
__Vous croyez que son cerveau dort toujours ? se moque-t-elle.
__Nebula ! gronde Nutrix.
__Ils nous ont laissé fuir, explique Arvel, nous ne sommes pas loin de la frontière. Nous essayons de trouver un moyen de la passer avant l'aube.
__Pourquoi est-ce qu'ils nous ont épargnés ?
__Ils n'ont pas eu le cran de tuer le prince, lâche Khorben, comme pour me rappeler qu'il avait raison depuis le début.
Je tourne alors un regard accusateur vers Arvel.
__Je crois qu'il est temps de me dire la vérité, lui dis-je, grave.
__Justement, j'attendais que tu te réveilles, acquiesce Arvel.
Puis il prend une profonde inspiration, plante son regard dans le vide (ou dans son passé), et commence son récit.
__J'ai grandi dans une famille pauvre. Ma mère travaillait comme une bête pour subvenir à nos besoins. Femme de ménage, ouvrier d'usine, barmaid, il n'y a aucune casquette qu'elle n'ait arborée pour nous nourrir, ma soeur et moi. La malbouffe avait dessiné une bouée autour de sa taille, ses ongles étaient rongés jusqu'au sang, et j'avais du mal à faire la différence entre ses cheveux et un balai.
Mon père, lui, était un éternel rêveur, un ambitieux frustré qui refusait en bloc la vie dans laquelle il était empêtré. Je me souviens... il avait toujours la tête si baissée sur ses notes qu'il présentait sa calvitie au mur d'en face. Ses lunettes tenaient en équilibre sur le bout de son gros nez et ses sourcils broussailleux étaient toujours froncés. Mon père répétait en boucle des formules mathématiques et autres lois de physique auxquelles je ne comprenais rien. C'était un savant. Il savait des choses que la plupart d'entre nous ignorent. Il jurait sans se lasser qu'un jour, nous serions riches.
Mais, en attendant, il ne gagnait pas un sou. Ce déséquilibre entre mes parents créait des disputes quotidiennes. Nous habitions un deux-pièces décrépit dans un quartier mal famé. La promiscuité, l'insalubrité, la pollution sonore et le danger constant étaient à deux doigts de nous rendre fous.
Et puis, un matin, mon père est sorti sans prévenir. Il ne travaillait pas, et ce n'était pas dans ses habitudes. Ma mère a passé la journée à s'inquiéter, et moi aussi.
Le soir, quand il est rentré, il avait une bouteille de champagne sous un bras et une boîte de chocolats sous l'autre. Et, pour nous, à l'époque, ce n'était pas du luxe. C'était bien plus que ça. Pour la première fois de ma vie, mes parents ne se sont pas disputés pendant une journée entière. Ils se sont même montré des signes d'affection. Ils se sont tenu la main et se sont embrassés. À partir de là, notre vie a changé du tout au tout à une vitesse fulgurante. Nous avons déménagé dans une grande maison, dans une cité privée où il n'y avait que des gens riches. Ma mère a arrêté de travailler et nous mangions à notre faim. Je crois pouvoir dire que ça a été la plus belle période de ma vie.
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Machines
Science Fiction2330, les robots humanoïdes envahissent Paris, ferment les frontières et exterminent les humains. Khorben Pax et Evenn Leen, huit ans, survivent. Ils s'adaptent à une société régie par les machines, qui traitent les humains comme du bétail. Chaque...