Ceux qui détruiront Omelas

Scène 3

  Ce fut le bruit des klaxons qui la réveilla. Ou bien la trop violente luminosité de sa chambre. Elle ne savait pas trop. Son corps lui apparut étranger comme dirigé par une entité extérieure. Il était froid et lourd. Sa poitrine faisait mal et elle frissonnait sans cesse. Soo-Mee tendit la main sans regarder où dans l'espoir de trouver son paquet de pilules rouges. Elle avait appris à aimer le rouge : cette couleur était devenue synonyme de détente pour elle, de calme. Elle tâtonnait sans réussite et se décida à ouvrir les yeux. Où était-elle ? Elle se redressa brusquement lorsque la pièce qui l'entourait n'était pas celle qu'elle avait imaginé. 

  Elle se leva si vite qu'elle crut perdre l'équilibre et se rua hors de la chambre. Ce qui ressemblait à un salon lui remit les idées en place rapidement : si elle ne s'était pas réveillée dans son appartement, c'était car elle n'en avait plus - bien qu'elle n'en ai jamais vraiment possédé un. Elle se gratta les yeux en se rappelant la veille : la conférence catastrophique et la soirée hors du temps qui en avait découlé. Après avoir déambulé plusieurs heures dans les rues de la capitale, son manager l'avait appelé pour la récupérer en voiture. Il lui avait expliqué en quelques phrases que l'agence ayant appris l'évènement prenait des mesures spéciales. C'était les mots qu'ils avaient utilisé pour justifier pourquoi elle serait surveillée 24/24 pour une durée indéterminée.  

  Un regard par la fenêtre de la pièce à vivre et elle aperçut en face le grand immeuble en béton de son agence. Le logo attira son regard : CUBE. Le E tout bleu tonnait avec le gris du baâtiment. Quel drôle de nom tout de même, se dit-elle. Elle sourit en pensant à cela quand la porte de l'appartement s'ouvrit. 

-Ah, enfin réveillée ?

  Elle hocha de la tête vers Sang-Hoon, son agent, qui venait juste de jeter son manteau sur le canapé. Il tendit vers elle, comme pour lui montrer, deux sacs en papier de tailles différentes. Il sortit de l'un deux grands gobelets dont s'échappait une agréable odeur de grains de café moulus. Soo-Mee se rapprocha de lui doucement, les pieds gelés contre le carrelage. 

-J'ai essayé de trouver quelque chose à grignoter mais il n'y avait rien qui répondent à tes allergies. Je t'ai pris ça aussi, déclara-t-il en sortant du plus petit des sacs deux paquets de médicaments. Après ce qu'il s'est passé l'autre jour, ils ont décidé de changer d'angle d'attaque. Je te préviens tout de suite, ce ne sont plus des médicaments simples.

  Elle regardait ses mains veineuses s'agiter sur la table en portant le café à ses lèvres.

-C'est de la drogue dure Soo-Mee. C'est pour ça que c'est moi qui controlerais ta prise. Hors de question de te les laisser, pas envie que tu me clamses entre les doigts. Tu la prendras le temps que l'on étouffe un peu l'histoire de... tu sais qui. 

  Il leva le regard vers elle, toute absorbée qu'elle était dans la contemplation de ses mains. Quand il la regardait ainsi, à moitié endormie, il se revoyait quelques années plus tôt, défendre la candidature de cette adolescente aux directeurs de son agence. C'était la première fois qu'il avait eu le droit, en temps que jeune employé, de donner son avis sur les auditions. Quelles auditions d'ailleurs. Il y avait rencontré sa petite perle, celle qui lui avait assuré un avenir professionnel convenable. Elle n'avait jamais été la plus souriante mais de toutes les filles du -fût- groupe, Soo-Mee avait toujours attiré le regard. Toujours plus que les autres.

-D'accord. 

-Je ne pensais pas te faire accepter aussi facilement dis donc.

  L'esquisse d'un sourire vint décorer le visage de la demoiselle. Elle lui répondit que les gens changaient mais sourtout qu'elle ne voulait jamais expérimenter une nouvelle conférence aussi chaotique. Ce qu'il avait omis de lui expliquer, c'était que le grand patron avait décidé de la shooter uniquement pour qu'elle soit assez "stable" pour venir s'entraîner chaque jour, rien de plus. Elle n'avait pas besoin de le savoir se répétait Sang-Hoon.