Les lunes passent et les blés se chargent d'épis. La meute, résignée, cohabite avec ses bruyants envahisseurs. Les moissons, en réquisitionnant une bonne partie des hommes valides, ont entraîné une pause salutaire dans l'extraction des nodules de fer. Le meneur profite de cette accalmie pour tenter d'intégrer l'harmonique étrangère à la mélodie de la meute. En effet, depuis qu'il s'est fait entendre pour la première fois, le grincement inconnu continue de leur tourner autour, à fleur d'oreilles.
En cette fin de matinée, les animaux, écrasés par la chaleur, somnolent paresseusement. La vibration mystérieuse se tient de nouveau en marge de la gamme de notes du jeteur de sorts. Il se met donc en chasse. Il réaffirme sa posture et resserre les chevilles de son instrument. Ses mains se referment sur les courbes torturées de sa vielle. Les loups, les yeux luisants, suivent la scène en silence. Les cordes mordent cruellement la roue pendant que le musicien lutte et use de subterfuges pour rabattre ce bourdonnement intrusif entre les lignes de sa partition. Les notes s'ajustent soudainement et rentrent en résonance. Puis, contre toute attente, l'écho s'affole dans le lointain. L'une des cordes se rompt. Un silence pesant envahit la clairière à la cabane bancale. Au creux de sa poitrine, le serreux ressent comme une fissure qui se creuse. Un bref instant, une lueur ambrée apparaît au fond de ses yeux gris sans âge. Les bêtes se relèvent, nerveuses, pendant que le mâle dominant pousse un hurlement de défi.
Quelque temps plus tard, deux paysans essoufflés jaillissent hors des bois. Occupés par les travaux des champs, ils ont délaissé la biaude, la large chemise bleue sans boutons que portent les gens d'ici. Les moissonneurs, transpirants d'avoir tant couru, reculent prudemment en apercevant la meute. Bien qu'effrayés, ils tiennent à garder une certaine contenance. Respectueusement, ils retirent leurs chapeaux et scrutent la pointe de leurs sabots poussiéreux, tout en jetant des regards furtifs aux bêtes sauvages devant eux.
Encore vexé par ses déboires musicaux, le meneur claque la langue à la vue des deux inconnus, jusqu'à ce qu'une odeur familière vienne flatter son odorat. Il renifle ostensiblement, les narines dilatées. Intrigué, il émet un bref sifflement qui apaise ses loups. Il insiste par un raclement de gorge, et le grand mâle anthracite cesse de montrer les crocs.
Il rejoint les intrus qui gardent un œil craintif sur les animaux. Malgré son dos voûté, il les domine de sa haute taille et ne se prive pas de les toiser de son regard acéré.
– Je... Je viens pour ma Marie... et les p'tiots, balbutie le plus âgé pendant que ses mains triturent fébrilement son couvre-chef. Une bête enragée les a attaqués.
– On est venu pour qu'vous les guérissiez, complète le plus jeune.
– Comme vous êtes serreux, on s'est dit que vous y pourriez qu'chose, se justifie le premier. D'après la Grand-ma' de ma Marie, avec les maubêtes, c'est vous qu'il faut.
Les yeux ternes du charmeur de loups se plissent. L'odeur qui l'interpelle est accrochée au plus vieux. Les souvenirs commencent à percer sous la couche des années. Ce n'est pas le paysan implorant qu'il reconnaît, c'est elle. Edmée. La meute glapit devant le trouble de son meneur. La plus compréhensive des louves, celle au pelage clair, vient frotter son museau contre ses jambes.
– Conduisez-moi, gronde-t-il après un long silence.
Il saisit alors un bâton de marche hâtivement taillé et glisse la sangle de sa vielle sur son épaule. Les deux hommes s'exécutent sans se faire prier et se pressent jusqu'à Mosnay, à plusieurs foulées de là. Comme son ombre, le mâle dominant lui emboîte le pas.
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Le grincement de la malbête [Nouvelle terminée]
Siêu nhiênAu XIXème siècle, une malbête inconnue s'attaquent aux braves gens du Berry. Un meneur de loups enquête pour chasser le prédateur de son territoire. Seulement, les victimes ont un lien avec le charmeur de loups, ce qui rend sa meute, si ce n'est cou...