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Les loups accentuent leur pression sur le chantier et la fonderie. À la faveur de la nuit, le couple dominant imprègne les lieux de leur odeur. Le meneur dépose aux croisées des chemins des paquets emplis de mauvais sorts. La meute, les sens en alerte, guette l'apparition des maubêtes, jusqu'au jour où un éclat entre les arbres attire son attention. Une silhouette gracile observe en silence, parmi les fougères, leur manège. À l'affût, le mâle gris épie les moindres gestes de l'espion. Après un long bâillement, qui révèle des crocs effilés, la créature à l'ossature d'acier se relève. Les mécanismes souples de la bête s'enclenchent et dans un imperceptible sifflement, les pistons s'étendent. Le loup anthracite reste un instant interdit devant l'aspect singulier de l'inconnu, mais n'hésite pas à lui bondir dessus lorsque l'automate fait mine de s'éloigner. Ses griffes cherchent une prise pour s'y agripper, mais elles labourent sans succès la surface froide et dure. La malbête, à peine gênée par le poids de l'animal sur son dos, se secoue comme un beau diable pour le mettre à terre. Le grand loup réussit à glisser ses pattes avant dans ce qui lui semble être des sortes de tendons. Rapidement, le reste de la meute accourt pour le seconder. Les bêtes se jettent au cou de l'ennemi, cherchant à refermer leurs gueules sur un des rares câbles apparents. Mais leurs mâchoires se cognent douloureusement contre des plaques de métal. Un tuyau, moins épais ou protégé que les autres, finit par céder, libérant un flot de liquide poisseux. L'odeur lourde de l'huile trouble les sens des prédateurs. L'animal mécanique profite de leur confusion pour détaler.

La journée n'est pas encore terminée, que, comme en représailles, un mort est à déplorer parmi les bergers. La campagne, mise à rude épreuve par les récents massacres, s'embrase alors sous la nouvelle. Armés de fourches et de flambeaux, les paysans prennent d'assaut la forêt. Leur hargne résonne entre les arbres. Le meneur, incrédule, les écoute organiser une battue à la hâte. Il met un moment à comprendre que leur colère est dirigée contre lui. Bientôt, les cris de chasse et le hennissement des chevaux se mêlent à la clameur des chiens. La situation lui échappe. Malgré son isolement, ceux qui savent où le trouver sont encore nombreux. Le serreux de loups doit fuir avant que la clairière ne se transforme en piège. Il rassemble ses maigres possessions et sans un glapissement, ses bêtes s'enfoncent dans les taillis touffus à sa suite.

Au fur et à mesure que les paysans bravent les sous-bois, les serments anciens se dénouent. Le poids des accords passés par les aînés afin d'assurer la prospérité des leurs s'allège. Les foulées de la meute s'allongent et se font plus souples. Les pelages grisonnants reprennent de leur éclat.


Le grincement de la malbête [Nouvelle terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant