Raven (T1) - A PARAÎTRE

Chapitre 2

« Elle est en colère, c'est tout. En deuil. C'est vieux comme le monde. Sidération, culpabilité, colère. La valse à trois temps. La danse de ceux qui restent. »

Olivier Adam

Un mois plus tard

Le bruit atroce de trompettes me tira de mon sommeil. Je gémissais avant de me retourner, espérant pouvoir fusionner avec les draps le temps que ça s'arrête. Malheureusement, le boucan infernal n'avait pas uniquement réveillé le cadavre ambulant du couloir ; j'entendis bientôt quelques portes claquer. D'ici quelques minutes, tout ce monde allait s'attrouper et se diriger bras dessus bras dessous vers le marché. Je soupirai en tentant d'ouvrir un œil. Mes paupières collaient entre elle. Depuis combien de temps n'avais-je pas ouvert les yeux ?

En réalité, la question à se poser était surtout : depuis combien de temps n'étais-je pas sortie de mon lit ? Depuis le décès de mon compagnon, peu de monde au palais m'avait vue. Je m'étais terrée dans ma chambre juste après avoir rendu un rapport au roi. Aux dernières nouvelles, il avait pris les armes avec une équipe de guerriers pour partir à leur recherche, mais je supposais que cela n'avait rien donné.

Le corps de Thosel avait disparu, et c'était notre unique preuve d'agression. Mes espoirs de rébellion s'étaient envolés : nous ne pouvions pas nous baser sur mon témoignage pour attaquer tout un peuple. Enfin, c'était le discours du roi, Varae. Après m'être prise une gifle en pleine figure avec cette annonce, ma chambre était devenue mon repère.

La seule personne que je côtoyais régulièrement, était mon meilleur ami, Ethel. Il se débrouillait pour me maintenir en vie. Nous étions sûrement les plus touchés par ce drame, puisqu'Ethel s'était entraîné et avait passé la Cérémonie aux côtés de mon fiancé. Cette fête se déroulait une fois par an, et Thosel adorait y assister. Les adolescents les plus ambitieux de tout le royaume se présentaient et subissaient une série d'épreuves d'endurance, de force, de courage. Les plus vaillants étaient ensuite accueillis à bras ouverts dans les rangs de l'armée. Je me souvenais m'y être présentée avec mes haillons déchirés en guise de vêtements et les cheveux sales. Les autres adolescents s'étaient moqués de moi, eux qui se pavanaient avec leurs armures.

A la fin de la Cérémonie, j'étais la seule encore en jeu. Tremblante comme une feuille, affaiblie par le manque de nourriture, mais triomphante. Ce soir-là, je dormi pour la première fois seule dans un lit bien douillet.

Quelqu'un toqua à la porte, et je l'invitai à entrer. Le seul qui osait me rendre visite était Ethel. Les autres ne savaient sans doute pas comment se comporter avec moi. Il fallait dire aussi que j'étais...différente d'eux.

Mon meilleur ami entra dans ma chambre et m'aida à me lever. Mon corps ankylosé me faisait souffrir, et il m'était impossible de me tenir debout seule. Comme si mes muscles avaient fondu. Je m'appuyai ensuite sur tous les objets que je trouvais pour me rendre à la salle de bain.

Je grimaçai en jetant un coup d'œil dans le miroir. De base, avec mes oreilles en pointe et ma peau pâle, je faisais déjà peur à mes coéquipiers. J'étais la seule du royaume, à ma connaissance, à posséder ces particularités. Katsya n'avait jamais réussi à me renseigner sur mes parents biologiques, mais disons que mes origines n'étaient pas compliquées à deviner.

Qui d'autre, sur ce continent, avait une peau translucide ? Les Tremblants. La mienne était un peu plus foncée quand même, et leurs oreilles n'étaient pas en pointes. Nous étions différents, ou du moins...je l'espérai.

Mes cheveux noirs hirsutes se collaient en paquet autour de mon crâne. De quand datait mon dernier bain ? A en juger par mon odeur corporelle, je dirais qu'il ne datait pas de la semaine. Je fis tourner le robinet d'eau manuellement, la magie ayant décidé de m'abandonner peu après le décès de Thosel. Selon les guérisseurs, c'était lié au stress post traumatique, ou quelque chose du genre. Cela me frustrait de ne plus pouvoir compter sur mes pouvoirs, mais... ce n'était pas ce qui occupait mes pensées pour l'instant.