─ s'éprendre de l'imaginaire

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─  Pourquoi sculpter sans modèle ?



        Les senteurs de liqueurs imprégnaient l'usure saillante de son tablier. Le vent effleurait ses joues constellées de tâches aux éclats fauves. Il ondulait ses mèches autour des bijoux qui tintaient sur chacune de ses oreilles, glissant quelques-unes d'entre elles sur sa peau tannée par le soleil. Des stries commençaient à s'édifier sur l'argile qu'elle façonnait, laissant ses doigts épouser les courbes de sa création. Elle s'éprenait de passion pour sa sculpture, pour la moulure de ses lèvres en céramique, pour la forme de ses yeux sélénites. Pourtant, il n'y avait que le néant qui se reflétait dans ces yeux. L'alcool exilait pour cette nuit la logique de l'intellect, préférant la compagnie de l'imaginaire. Il était responsable de son émoi, noyant sa lucidité dans la profondeur des iris de la statue. Elle était prise de vertiges à force de se laisser hypnotiser par ce vide intersidéral. C'était toujours lors de ses nuits d'ivresse qu'elle se laissait embrasser par la poésie du dérisoire. Le coeur au bord des lèvres, elle murmura finalement :


─  Qui es-tu ?

─  Tu ne m'as pas répondu.


        La voix qui lui répondit était d'une douceur infinie. Ses mots, que seule la nuit pouvait écouter, l'ébranlèrent tant qu'elle sentit sa respiration se mourir dans ses poumons. Elle était de dos à son interlocuteur, les yeux toujours rivés sur les orbes de son oeuvre. Elle le sentait s'approcher de sa silhouette, entendant le bruissement de ses vêtements, puis son souffle atteindre le creux de son oreille. Il vint délicatement déposer ses mains sur les paupières de l'artisane, laissant la chaleur de ses paumes se diffuser sur son visage. Sa respiration reprit, comme apaisée par ce geste soudain. Elle n'était plus hypnotisée par sa sculpture.


─  Alors ? Pourquoi sculpter sans modèle ?


        Elle était de ceux qui, d'un simple souffle, pouvait faire bondir les coeurs, damner les anges et repentir les démons. Son rire retentit, pur, cristallin, enchantant le silence de la pièce. Ce fut au tour de Kokonoi de retenir sa respiration. Il était complètement fasciné par cette demoiselle, les pupilles encrées sur sa silhouette immobile.


─  Je préfère imaginer plutôt que reproduire quelque chose qui n'est pas mien.


        Il sentit ses mains se déposer sur les siennes, comme pour apprécier davantage la chaleur qui s'en dégageait. Un ange passa, avant qu'elle ne se retourne vers lui. Elle déplaça ses mains sur son torse, avant de soulever ses paupières. Son souffle s'accéléra face à ses yeux noyés de bienveillance. Pourtant, ils n'avaient rien de spécial. Bruns et sombres comme la terre, sans nuances pour égayer cette couleur terne. Sa peau arborait des teintes hâlées et parsemées de timides tâches sur les pommettes. Ses cheveux aussi noirs que la nuit étaient coupés asymétriquement au-dessus des épaules, laissant ses oreilles apparaître derrière quelques mèches ébènes. Il pouvait désormais admirer l'entièreté de son visage, constatant à quel point elle n'était pas si extraordinaire. Son corps laissait de légères rondeurs apparaître à travers son tablier, alors que ses mains semblaient abîmées à force du travail quotidien. Certaines femmes restaient, pour la plupart des hommes, infiniment plus attirantes qu'elle. Mais dieu sait comment cela n'avait pas d'importance pour lui. Il s'était involontairement éprit de la jeune femme, son apparence ne le préoccupait pas le moins du monde. Il la trouvait absolument magnifique.



─  Tu n'as pas répondu à ma question. Qui es-tu ?

Il la reluqua, perplexe, arquant légèrement ses sourcils.

─  Ne serait-il pas plus judicieux de me demander par quel moyen t'ai-je trouvé ?

─  Serais-tu la personne qui m'observait durant tout ce temps ? Je dois dire que j'ai finis par m'habituer à tes contemplations nocturnes.



L'INSOMNIE DES RÊVEURS, h.kokonoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant