Prologue

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- Qu'est-ce que je vais en faire...

La préoccupation de son ton effacé densifia l'air humide de cette nuit fraiche, les mains dans les poches de son pantalon, son regard azur voyait la minuscule silhouette accroupie au sol à quelques mètres de lui sans vraiment la regarder. Le jeune homme à sa droite soupira en glissant ses mains dans les poches de son pantalon ample ; impossible de savoir lequel des deux avait inconsciemment copié les mimiques de l'autre :

- Tu es parti le chercher, assume.

- Ah...Me dis pas ça, je ne sais pas ce que je suis en train de faire bordel.

Il passa sa main dans ses cheveux décolorés, les ramenant en arrière en poussant un soupir désespéré, attirant le regard de son ami qui se contenta de se pincer les lèvres, il ne pouvait pas le contredire, lui-même était surpris par cet élan de bonté en son ami et ne savait pas comment réagir. Il ne l'avait jamais vu aider une vieille personne à traverser la route, donner de l'argent à un mendiant, céder son siège dans le métro à une femme enceinte, et tout d'un coup, il prenait un enfant de six ans sous son aile, et pas n'importe quel enfant.

- De la merde. Tu fais de la merde.

- Suguru!

- Ouais, désolé, je dois y réfléchir.

Impuissant, il tourna la tête pour faire face à son ami, celui-ci s'éloignait déjà sur le trottoir, la silhouette éclairée par le faisceau doré du lampadaire, il leva le bras mollement et se prononça avant de quitter le disque éclairé, disparaissant dans le noir :

- Bonne chance.

Son regard azur peinait à découper la silhouette nonchalante de son ami dans le noir et pourtant il s'obstinait, ce n'était pas la première fois qu'ils ne se mettaient pas d'accord, ce n'était pas la première fois que leurs chemins se séparaient, ce n'était pas la première fois que des tensions naissaient entre eux. Tout ce qu'espérait alors Satoru était que son ami accepte rapidement son choix et revienne à lui, parce qu'il était sûr que celui-ci finirait par le faire, comme à chaque fois.

- Hé, le gamin.

Le petit humain aux cheveux ébènes dépeignés leva les yeux vers son interlocuteur, il était accroupi au sol, une main sur son frêle genou, l'autre grattant une branchette d'arbuste contre le goudron du sol sous le regard prédateur d'un chat de gouttière qui guettait ses mouvements, prêt à se jeter sur sa main. Satoru avait interrompu son jeu, mais à voir son expression, il ne semblait pas vraiment contrarié, il ne semblait même pas prendre du plaisir à jouer avec ce chat, son visage était si ferme qu'on se croirait devant un fonctionnaire de quarante ans souffrant de dépression, retournant d'une épuisante journée de travail ; un visage si inexpressif que c'en était déstabilisant.

Mais il y'avait bien plus déstabilisant dans son visage.

- Tu lui ressembles vachement.

L'enfant continua de lever les yeux vers l'étranger aux yeux azurs qui l'avait fait sortir de chez lui, impavide. Leurs regards se soutinrent, s'arrachant froideur et flegme, l'un, recroquevillé, avait un regard de jade, des cheveux de jais, un minuscule corps frêle, l'autre, debout, avait un regard céruléen, des cheveux albes, un imposant corps svelte.

Le chat bailla, ennuyé devant l'inactivité de la branchette sèche et s'éloigna, l'adulte soupira, rompant ainsi le silence, et décréta en détournant le regard :

- On rentre.

L'enfant ne releva pas, il se leva en abandonnant sa branchette sur le goudron et suivit le gigantesque monsieur qui l'avait attendu, pas plus tôt que cette après-midi, devant la porte de son appartement. Tu viens avec moi, ton père l'a dit. Aucune opposition, aucune perplexité, aucune surprise, il avait simplement hoché la tête et rajusté son sac sur son dos, debout à côté des jambes élancées de l'inconnu, attendant qu'il se mette à marcher pour le suivre. Satoru avait froncé les sourcils mais ne s'était pas attardé sur son drôle de comportement, haussant les épaules en s'engageant dans la route.

Megumi tenait les bretelles de son cartable en marchant aux côtés de l'inconnu, trois de ses pas comblant à peine un pas de celui-ci, il ne disait rien, avançant dans l'obscurité de la nuit, dans cette étoffe bleu nuit dans laquelle des disques dorés furent coupés un peu partout.

- Tu t'appelles ?

Un silence accompagna sa question, la réponse tarda, et pour la première fois, il entendit la voix de l'enfant, petite, caressante, placide :

- Fushiguro.

- Ton prénom.

- Megumi.

Une bénédiction. La mâchoire du blond se contracta silencieusement, il ne dit rien, s'empêcha de porter un jugement. Leurs semelles grattaient le sol, réveillant les criquets à leur passage, ils s'engouffraient dans une dernière ruelle lorsque la voix de l'adulte formula :

- Satoru Gojo.

𝑻𝑨𝑪𝑬𝑵𝑫𝑨  [JJK - BXB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant