Samedi 16 octobre
— Je ne suis pas alcoolique.
Je crois que je vais devoir répéter cette phrase des douzaines de fois en espérant que quelqu'un me croit. Visiblement, pas l'infirmière du matin qui se contente de hausser un sourcil et de glisser un brassard à mon bras.
— Vous avez des sueurs ? Des tremblements ?
— Non puisque... je ne suis pas en sevrage... puisque je ne suis pas alcoolique !
Je la dévisage, un grand sourire aux lèvres. Elle n'a pas l'air d'apprécier mon ton. Peu importe. Elle finira par me croire avec le temps. Tout à coup, je me rends compte de l'endroit où je me trouve, l'esprit plus clair après que les quelques heures de sommeil ont un tantinet effacé l'alcool et le neuroleptique dans mes veines.
— Je suis en hospitalisation libre, non ?
— Oui.
Pas bavarde celle-ci. Elle ne doit pas aimer les gens qui abusent de l'alcool. Je la comprends. Je ne les aime pas non plus.
— Alors je peux sortir.
— Pas sans voir le psychiatre.
— Alors appelez le psychiatre ?
— Il n'y a pas de psychiatre le samedi. Vous serez vu lundi.
Je fronce les sourcils. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
— On m'a dit que j'étais libre de sortir.
— Oui. Vous pouvez sortir contre avis médical quand vous voulez, mais il faut signer un papier que le psychiatre signe aussi. Vous comprenez bien que si vous vous suicidez à la sortie, le personnel doit se dédouaner de toute responsabilité. Donc il faut attendre un psychiatre. 13/8 de tension. Très bien. Vous avez des douleurs ?
— Et si je me suicide ici, le psychiatre attendra aussi lundi pour me voir ?
Ma question ne la fait pas rire. Tant mieux, ce n'était pas censé être drôle.
— Il y a des psychiatres de garde et d'astreinte. Mais on ne les dérange pas pour une SCAM. Est-ce que vous avez des douleurs ?
— Mais c'est illégal votre truc ?
L'infirmière enroule le fil du tensiomètre. Je crois percevoir un soupir.
— De toute façon vous voulez sortir pour quoi ? C'est le week-end. Reposez-vous. Vous sortirez lundi si vous voulez. Vos douleurs ?
J'ai presque envie de lui répondre que ma pire douleur pour le moment, c'est elle. Mais je n'ai pas envie de prendre le risque de me retrouver à nouveau attaché ou dans une chambre capitonnée. Je ne sais pas comment marchent ces trucs. Alors je me tais. Je secoue la tête pour signifier que mon corps se porte bien.
— Très bien, vous pouvez aller déjeuner.
Je n'ai pas vraiment faim. Mais je suppose que là encore, je devrais attendre lundi pour donner mon avis. Il faut que j'appelle Martin pour lui demander d'annuler le tournage de lundi. Au minimum.
J'enfile ma veste d'hier soir – je n'ai strictement aucun habit de rechange – et me contente de suivre un groupe de trois patients hagards qui se rendent visiblement à la salle à manger. Une fille sort de sa chambre, manque de me percuter. Elle se tourne dans une tornade de cheveux bordeaux et s'excuse avant de me scruter de haut en bas.
— Excuse-moi. On se connait ?
J'esquisse un sourire.
— Non.
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Les reflets de papier - [MxM] - [ÉDITÉ]
RomantikUn jeune homme incapable de croiser un miroir. Un autre qui en a assez de devoir s'y contempler. Difficile de s'accepter quand on déteste son corps. Lévy ne se nourrit pas suffisamment pour bien vivre. Eliaz se sert de son physique pour bien mange...