Chapitre 1

1.9K 261 896
                                    

Vendredi 15 octobre

— C'est la première fois que vous êtes hospitalisé ?

Je hoche la tête, sans savoir où poser les yeux. Assis au bord du lit, je tords les manches de mon pull trop ample et attends la ribambelle d'autres questions. La psychiatre ne semble pas savoir que le médecin des urgences m'a posé les mêmes.

— Pas de suivi CMP ?

Je secoue la tête. Le nom me dit vaguement quelque chose. Peut-être l'infirmière scolaire autrefois ou une info pêchée sur le net lors des rares accès de lucidité où je me rendais compte que je ne pouvais pas m'en sortir seul.

Pendant que la psychiatre aux intonations roumaines feuillette les papiers sortis d'une enveloppe kraft – les urgentistes n'ont pas été fort bavards sur mon compte – une infirmière m'enfonce un thermomètre tympanique, et dégaine le tensiomètre ronronnant. Je détourne les yeux et déglutis pendant que le brassard m'enserre le bras. Elle doit s'y reprendre à deux fois. L'appareil affiche erreur. Je la vois froncer les sourcils et finis par mettre fin à notre supplice.

— Ils ne marchent pas souvent. Je n'ai pas un pouls très rapide et le bras trop... maigre.

Elle acquiesce, me jette un sourire. Sa voix vibre d'une énergie qui résonne presque dans la petite chambre.

— Rien de tel que le manuel ! La technologie a ses caprices. Je vais chercher mon appareil.

Elle rit. Ça me fait du bien. Face à l'air revêche de la psychiatre toute concentrée, elle est le premier rayon positif depuis que j'ai mis un pied ici. C'est-à-dire depuis quelques minutes.

— Racontez-moi un petit peu.

Oh non. La question à cent euros. Ce n'en est même pas une d'ailleurs. Aucune interrogation. Presque un ordre.

— Euh...

— Pourquoi vous êtes ici ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

J'esquisse une grimace. Elle le sait déjà. Elle a lu le compte rendu du médecin des urgences et de l'infirmière de l'antenne médico psychologique. Les urgs psys comme ils s'appellent. Elle sait. Mais j'apprécie qu'elle me demande mon avis, même si a contrario, je n'apprécie pas du tout d'avoir à m'expliquer.

— J'ai fait un malaise...

Elle attend la suite. Je vois derrière ses lunettes qu'elle en connait la cause. Je n'ai pas envie de le dire tout haut. Je veux dire... N'est-ce pas assez évident sur moi ? Je porte la maladie comme un fantôme porte son drap. On ne voit que ça.

— Ce n'est pas le premier. Je viens de lire que c'est votre troisième visite aux urgences... C'était à l'école ?

Je secoue la tête, un tantinet agacé. Je ne suis plus au lycée. J'ai beau être en colère, mon corps ne peut s'en prendre qu'à moi. C'est ma faute si j'ai toujours l'air d'avoir dix-sept ans.

— C'était à la maison.

— C'est votre papa qui vous a mené ?

Le décalage entre son niveau d'études et sa façon de parler manque de me faire rire. Je ne ris pas, bien sûr. Ce serait irrespectueux. Je devine qu'elle n'est pas française. Son accent trainant, sa manière de parler moins abrupte que la plupart des médecins français. Elle n'est pas pressée.

— Oui. C'est juste qu'il ne pouvait pas rester. Il travaille tôt demain et il... Il ne peut pas rater...

La doctoresse m'observe. Elle ne me juge pas, elle m'écoute. Et je me rends compte tout à coup que je justifie des comportements qu'on ne m'a pas demandé de justifier. C'est plus fort que moi. Je ne veux pas qu'elle pense que mon père est un mauvais parent. C'est le seul qu'il me reste. Il n'est pas responsable de la déchéance de mon corps.

Les reflets de papier - [MxM] - [ÉDITÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant