Chapitre 3

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Léandre poussa un soupir résigné alors que seul le silence l'accueillait dans le grand hall moderne de son nouvel appartement. Il savait qu'il devait faire le deuil, un de plus, de la chaleureuse maison en pierre de son enfance, du grand jardin rempli de fleurs plus ou moins sauvages, résultat des tentatives modérément maitrisées de sa mère quand elle se lançait dans le jardinage, des dessins et photos d'enfance qui parsemaient les murs et de la graduation tracée au stylo de ses poussées de croissance sur le chambranle de la porte de la cuisine, témoignages perdus d'une enfance heureuse et d'une famille unie.

En toute objectivité, l'appartement situé dans un immeuble de standing n'était pas moche. Enfin, surtout si on était partisan du design minimaliste, du blanc laqué et des espaces ouverts et froids. Léandre, lui, le trouvait glauquissime.

Il se demanda ce que le fait de se sentir aussi mal dans un lieu valant à vue de nez plus d'un million d'euros, doté d'une piscine commune et d'un service de gardiennage, faisait de lui. Un enfant de riche gâté et ingrat, fort probablement.

Alors qu'il ouvrait le frigo, que la femme de ménage avait généreusement rempli conformément aux instructions laissées par son père avant son départ à l'étranger, la Chine, le Pérou ou Dubaï, il se remémora la discussion du déjeuner sur les différentes castes et groupes sociaux que formaient les élèves du lycée. Valentin et les autres seraient surpris s'ils venaient ici. Apparemment, les membres de la section rugby, recrutés sur dossier et niveau sportif dans toute l'Ile-de-France, se démarquaient fortement des autres adolescents du lycée, niveau moyens financiers.

Si tu regardes autour de toi, tu verras trois types d'élèves, avait exposé Emma d'une voix professorale, lorsque Léandre avait demandé des informations sur son nouvel environnement. Groupe un, les bourges classiques, aussi appelé fils et filles à papa maman ou encore l'élite de notre cher bahut.

Julien avait ricané en se pressant contre elle.

Cherche des mocassins et des serre-tête et tu les auras trouvés.

En réalité, on est plutôt sac Chanel et pompes Carlos Santos par chez nous, l'avait corrigé sa copine mais ouais, ils sont assez faciles à reconnaitre. Pour eux, si tu n'es pas du genre à draguer en rallyes, tu es de la merde. Ils sont cathos coincés mais sniffent de la coke dès que leurs vieux ont le dos tourné et se marient jeunes, en général. On est en plein dans leur territoire.

Seul dans sa cuisine luxueuse, Léandre ne put s'empêcher de sourire en se rappelant de la description au vitriol. Au fur et à mesure qu'elle s'était sentie plus à l'aise en sa présence, la jeune femme avait démontré un esprit caustique qu'il trouvait particulièrement amusant. Il avait toujours eu un faible pour les filles intelligentes et drôles et si elle n'avait été de toute évidence très amoureuse de Julien, avec qui elle maintenait toujours un léger contact physique, il aurait pu la trouver vraiment attirante.

Deuxième groupe, les bourges rebelles. Ils sont tout autant pétés de thunes mais refusent de rentrer dans le moule de la société pourrie, tu comprends. Alors soit ils tournent néo-bobo, se fringuent chez Zadig et Voltaire et Manoush en pensant que c'est le must de la rébellion, soit ils se prennent pour des racailles de banlieue, écoutent du rap « fuck le système » et retroussent le bas de leurs pantalons. Tu noteras que s'ils ont passé le périf un jour, c'était pour suivre papa maman à Deauville ou Saint-Bart. Saint-Denis ils ne connaissant pas, faut pas abuser non plus.

Ils sont quand même plus sympas que les bourges classique, avait nuancé Valentin. Ils ne sont pas méprisants et s'impliquent dans des projets sympas. Le club anti-discrimination est rempli de néo-bobos et tu y vas aussi, je te signale.

Léandre hier et demain [BxB] [parution le 11/01/2024]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant