On My Way

Chapitre 3

21 décembre 1985 , le soir à 20:00

Je mange. Aujourd'hui j'ai fait des pâtes, je les ai réussi, je n'en suis pas peu fier. Avez-vous déjà vu un enfant faire à manger tout seul ? Il n'y a que moi qui puisse le faire.
J'ai décidé de rester dans ma chambre, Papa et Maman continuent de crier en bas dans la cuisine. Je ne sais pas quel est le sujet de conversation, à vrai dire je m'en fiche un peu. Parce-que mes pâtes sont bonnes, et que je suis bien installé dans mon lit. Comme je n'ai pas trop su quoi faire, j'ai lu une histoire du soir avant de dormir; si je devais attendre que Maman vienne m'en raconter en me bordant, j'aurais le temps de creuser ma propre tombe.

Ce soir, je lis le petit Chaperon rouge.
Vous connaissez sûrement, le grand méchant loup qui essaie de piéger la petite fille pour la dévorer, j'aime bien cette histoire, c'est même une de mes préférées.
Certaines personnes cachent bien leur jeu, n'est-ce pas ? Ils font semblant de vous aimer et de s'intéresser à vous, puis au final vous vous rendez compte qu'ils sont tout aussi cruels que n'importe qui. Vous êtes pris au piège et vous vous faites vite dévorer.
Il est vraiment méchant ce loup, il n'a aucune pitié.
Mais... je ne le déteste pas.
Je me demande souvent pourquoi il est comme ça. Si ça se trouve, il se sent seul lui aussi.
Il voulait avoir des amis, il a peut être tout fait pour être le plus gentil possible, et au final le monde l'a rejeté. On l'a rejeté, parce que c'est un loup.
Il a vite compris qu'il ne serait jamais accepté comme il est alors il ne fait plus d'efforts. Il ne veut peut-être plus être gentil, il est comme il est, il est comme il a toujours voulu être.
Il tue, parce que c'est naturel. Il tue aussi parce qu'il a la rage, la rage que le monde soit aussi méchant que lui. Il tue parce qu'il est comme ça, et que le cacher ne fait qu'accroître ce désir.

Je comprends ce loup, j'aime ce loup, je suis ce loup.

Le lendemain à l'école:
Les cours passent, la récré arrive.
Comme à mon habitude, je mange mon croissant assis sur un banc, j'observe les autres enfants qui s'amusent. Ils sont si innocents.
Mais alors que je prenais ma dernière bouchée, je vis un groupe de garçons s'approcher de moi.

-Qu'est-ce que vous voulez ?
-Pourquoi t'es tout seul toi ?
-...Personne ne veut jouer avec moi.
*rires*
-En même temps t'as vu comme t'es trop bizarre ??
-Ouais, tu fais que de regarder les autres en disant rien.
-Je ne sais pas avec qui aller...
-T'es tout seul ? Le pauvre petit bébé à sa maman !
Ils ricanent comme les corbeaux croassent.
Je n'ai même pas le temps de partir que le plus grand me soulève par le col et me jette à terre.
-T'es trop bizarre, t'as pas ta place ici.
Ils commencent à me ruer de coups.
-A-Arrêtez s-s'il vous plaît !
-Retourne chez toi ! T'es trop faible !
-Ouais, t'es nul !

Les autres enfants me regardent, certains en rigolant, d'autres l'air complètement indifférent. Le plus bourrin a eu le temps de me casser le bras avant que les surveillants n'interviennent.

Suite à l'incident, ils ont eu droit à une exclusion. Mais cela ne les a en rien empêché de me harceler les années qui suivront. Quant à moi, je suis allé à l'hôpital, bien que j'aurais préféré me soigner seul, pouvant ainsi éviter que mes parents soient au courant.

-Tu es faible, a dit ma mère.
-J'ai honte de toi, a dit mon père.

Et moi je suis seul, complètement seul.
Couché sur le sol, je pense.
Mais qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?
Qu'est-ce que j'ai fait à la vie pour mériter des parents comme ça ?
Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter à la maîtresse d'avoir mon dessin mis à la poubelle ?
Qu'est-ce que j'ai fait à ces garçons pour mériter ces coups ?
Pourquoi, juste pourquoi bon sang ??

Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?

Je suis gentil non ? Je suis normal, je vais bien pourtant. Enfin je crois....

Est-ce que c'est moi le problème ? J'ai fait quelque chose de mal peut-être ? Je ne sais pas.
Je ne sais plus quoi penser à force, toutes ces questions qui me donnent un mal de tête atroce finissent par m'achever et me plonger dans un profond sommeil.

Dans mon rêve je suis un loup. Mes parents, mes camarades, mes surveillants; tous sont des petits moutons. Ils me regardent, l'air apeuré, ils veulent s'enfuir.
Mais je suis plus puissant. Je cours, me jette sur eux. Puis, un à un, je les dévore.
Je plante mes griffes dans leur chair tendre afin de les immobiliser. Je les observe, transperçant leur regard de mes yeux injectés de sang. À ce moment-là, je peux ressentir cette peur intense qui immerge leur corps. Je sens cette envie de fuir, de se débattre, de vivre. Puis, je serre leur cou, appuyant de plus en plus fort. Leur respiration se ralentit à l'opposé de leur cœur qui tambourine dans leur poitrine. À ce moment-là, je tiens au bout de mes pattes une boule de feu qui va exploser.

Je me réveille en sueur. Quel était ce rêve si étrange ?
Ce rêve, qui paraissait être un cauchemar à mes yeux d'enfant.
« Ce n'est pas des images appropriées pour ton âge »

Et pourtant, j'ai eu du plaisir à l'imaginer. J'ai aimé étrangler ces moutons, j'ai aimé ressentir cette puissance qui animait mon être tout entier. J'ai aimé être ce loup, dominer tout ce qui se trouvait autour de moi, et libérer ces vives émotions qui allaient me crever la poitrine à force de tourbillonner comme une tornade. Quelque chose a grondé en moi lors de cet incident, quelque chose qui m'a brisé et qui m'a fait savoir que je n'allais jamais pouvoir revenir en arrière.

Je suis un loup, je l'ai toujours été.

Et si cette société est composée uniquement de moutons,

Alors je ne serai jamais normal...