Partie VII : Se soigner 3

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Le puzzle de Grace . 39


"Je porte cette couronne d'épines
Au dessus de ma chaise de menteur
Pleine de pensées brisées
Que je ne peux réparer"






Nice, 02 novembre 2016, cabinet du psy.


Quelques années plutôt

- Comment vous sentez vous aujourd'hui ? Demanda la psychiatre.

Elle eut envie de lui répondre qu'elle se sentait comme un déchet, que rien ne semblait pouvoir l'apaiser, mais elle s'abstint.

- Ça peut aller, répondit machinalement Grace.
- Votre BD ?
- Je pense qu'il sera bientôt fini, mentit-elle.
- C'est le premier, n'est-ce pas ?
- Oui. Certainement aussi le dernier.

La femme en face s'ajusta sur son fauteuil, puis considéra un instant cette jeune femme qui se tenait devant elle.

- Pourquoi pensez-vous que ça sera le dernier ?
- Parce que je n'avais qu'une histoire à raconter, maintenant que c'est fait, il n'y a plus rien à dire.
- Je vois, mais votre vie n'est pas finie. Il vous reste encore tellement de choses à vivre, souligna la professionnelle.

Grace leva insolemment les yeux au ciel. « Tellement de choses à vivre. »

- Vous n'êtes pas d'accord avec moi ?
- Il me reste quoi ? Une poignée d'années ? Le jeu maintenant est de savoir si je dépasserais les trente ans, mais je ne vous cache pas que je n'en vois pas l'intérêt si c'est pour vivre comme je vis, dit-elle froidement.
- Et votre anniversaire ? Si je ne trompe pas, vous allez avoir vingt-cinq ans d'ici quatre jours. Que ce que cela vous procure ?

Rien. Elle ne ressentait aucune excitation à la perspective de prendre une année supplémentaire alors elle haussa simplement les épaules.

- Écoutez, je comprends parfaitement que votre vie dans sa globalité a toujours été compliquée. Je...
- Vous comprenez ? Parce que je ne vous cache pas que moi, je ne la comprends pas cette vie. J'ai grandi entre espoir et résilience, entre l'envie d'abandonner et celle d'y croire encore. Ma vie est une vaste blague, elle ne me procure aucune satisfaction, il n'y a rien d'autres à dire. Je vis avec une épée de Damoclès au-dessus de ma tête, depuis ma naissance. La mort et moi, cohabitons ensemble depuis mon arrivée sur terre. Je l'ai tellement côtoyé que je ne suis plus certaine d'en être effrayée. C'est comme si, j'étais torturée physiquement et psychologiquement depuis tellement d'années que maintenant, je n'attends qu'une chose. Qu'elle arrête de me narguer et qu'elle vienne me chercher.

La jeune femme laissa échapper un soupir, elle était si épuisée. Épuisée par cette vie, par sa mesquinerie, fatiguée d'être à sa merci en permanence. Cette existence ne lui appartenait pas. Elle vint planter ses yeux humides dans ceux de la professionnelle devant elle.

- Quel projet sérieux je peux bâtir en sachant que je n'arriverais pas au bout ? Est-ce que j'ai envie de construire ma vie avec une personne qui m'aimera pour un jour l'abandonner dans la douleur ? Est-ce que je peux envisager de me marier ? D'avoir des enfants ? Je ne suis même pas certaine de vouloir de ces choses, mais même ce luxe de me poser la question « Est-ce que je veux des enfants ? » m'a été retiré à ma naissance. Alors vous qui me comprenez, dites-moi, pourquoi je devrais me réjouir d'avoir 25 ans dans quatre jours alors que peut-être que je mourrais le lendemain ?

La psychiatre observait calmement la jeune femme.

- Il y a beaucoup de colère et de rancœur en vous, constata-elle.

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