Chapitre 1

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Je cours.

Je cours.

Je cours toujours.

Mais pourquoi je cours déjà ?

Mes cuisses me font souffrir et la neige sur le sol me garantit une chute monumentale avec un supplément vêtements trempés. Je préfère arriver en retard que débarquer avec l'air d'un chien mouillé. Je ralentis le pas pour m'arrêter en plein milieu du trottoir. Une dame au long manteau noir me regarde de travers. Ce qui est justifié puisque j'ai failli lui rentrer dedans.

Je vérifie mon pouls, tâtonnant frénétiquement mon poignet à la recherche d'une pulsation. Je ne sais pas, pour m'assurer que je ne fais pas une crise cardiaque ? Je suis en sueur alors qu'il fait -3 degré dehors. Il faut que je revois ma forme physique. Je regarde derrière moi, j'ai approximativement parcouru cent mètres depuis l'arrêt de bus. Pas très glorieux. Je me mettrai au sport en janvier, c'est sur ma liste. Si c'est dans mes résolutions c'est que je vais le faire. Peut-être. L'année dernière je m'étais promis d'apprendre à coudre, à repasser les vêtements et parler espagnol. La seule conversation en espagnol que j'ai eu depuis, c'était avec des touristes qui cherchaient la direction de la tour Eiffel. Je pense que je les ai plus égaré qu'autre chose, les pauvres bougres. Au moins, ils auront vu autre chose de Paris que ce satané trombone.

J'arrive enfin devant mon lycée. Sur la façade, chaque passant attentif peut lire : Lycée Simone Veil. Nous y détenons une réussite au bac de 96% ; une ambiance assez détendu ; un bon budget donné aux arts et aux sports ; des profs chiants mais pas trop ; des locaux pas trop lugubres. En somme, un lycée public parisien des plus banals. Le petit plus : la spécialité comédie musicale qui attire beaucoup de jeunes gens ayant grandi avec High School Musical, dont je fais partie. Pour moi, la comédie musicale est un art encore plus exigeant que le théâtre parce qu'on danse, on chante ET on joue. Bref, on est bien mieux que les théâtreux qui se la pètent à se prendre trop au sérieux.

Laissez-moi vous parler de notre rivalité millénaire (depuis 1994 pour être exacte, date de l'ouverture du lycée). Nous avons deux spécialités artistiques, au lycée Simone, ce qui donne lieu à de la concurrence pour les spectacles de fin d'année.

Les théâtreux, à cause d'un complexe d'infériorité (je suppose), choisissent toujours des pièces aux sujets sombres et déprimants pour montrer à quel point leur jeu est profond, mais aussi qu'ils sont des artistes "engagés". Je tiens à préciser que la plupart n'ont jamais été à une manifestation de leur vie.

Tandis que nous, les musicals, nous montons un spectacle à la Broadway (avec un peu moins de moyen). L'année dernière, on a monté Grease et, même si je n'avais pas eu un grand rôle, je m'étais amusée comme jamais. En plus, nous avions eu droit à une standing-ovation ! Je sais bien que le public était principalement constitué de parents, pressés de sortir boire le pot offert par le lycée, mais quand même.

Retour à ce matin gris de décembre. Mes pas pressés résonnent dans le couloir vide, seulement éclairé par la lumière artificielle des néons. Je regarde l'heure sur mon portable. Dix minutes de retard, c'est encore tolérable.

— I'm sorry I'm late, je m'excuse en rentrant dans la salle.

La professeure d'anglais, une jolie anglaise d'une trentaine d'année venue tout droit de Manchester, me regarde par-dessus ces lunettes. Je m'apprête à me diriger vers mes amis dans le fond de la classe quand elle me demande :

— Okay, what's your excuse ?

Elle se tourne vers moi en croisant les bras et haussant ses sourcils parfaitement dessinés. Miss Jenkins peut avoir l'air si hautaine quand elle le souhaite. Son charisme lui offre toute une sélection d'expressions dignes de méchantes de Disney. Une qualité que j'avoue envier. Elle est si belle que ça la rend détestable. Mais en même temps, si belle que je ne peux la détester.

Mon rapport à Miss Jenkins est compliqué. Certains de mes amis pensent que j'ai un crush inavoué envers cette professeure. Je n'ai pas d'avis sur la question.

— I didn't wake-

— No, no, no, me coupe-t-elle, pointant son stylo vers moi. I don't want to hear some boring story about how you didn't hear your alarm or how you were stuck in traffic. Invent something else. And we're December 1st, so you might as well make it Christmas-y.

J'avais oublié la politique des retards de Miss Jenkins. Au contraire des autres profs, il faut inventer une excuse, qu'elle soit plausible ou non, pour justifier notre retard. Avec les transports parisiens et leurs désagréments, je peux vous dire qu'on en a entendu des vertes et des pas mûres. Je trouve que c'est un bon exercice pour entraîner les élèves à parler anglais. Et leur faire honte les premières secondes de leur entrée en classe.

— I was late because..., commencé-je, hésitante.

Mon regard tombe sur le mug rempli de thé aux fruits rouges (mon odorat est très développé quand il est question de thé) de Miss Jenkins. Sur fond blanc, le Père Noël dans son habit rouge, est dessiné envoyant des cœurs et cadeaux avec ses mains. Cette illustration débloque quelque chose dans mon cerveau encore embrumé de sommeil.

—Santa, who is my lover, je continue, did not let me get out of bed. Indeed, he kept wanting to give me presents.

J'entends quelques rires réprimés provenant du fond. J'arrive même à arracher un semi-sourire à Miss Jenkins. Pas peu fière de mon excuse, je peux enfin aller reposer mon fessier sur ma chaise, privilège de l'Education Nationale, s'il vous plaît.

— Meuf, on te demande une histoire de Noël et toi, tout ce que tu trouves à dire c'est que t'entretiens une liaison avec le Père Noël ? rigole Esther en se penchant vers moi.

— Qui, dois-je le rappeler a, genre, cent mille ans. J'imagine pas ce qu'il y a sous le costume, renchéris Mila avec une mine dégoûtée.

Tout en continuant de sortir mes affaires de mon sac, je réplique :

— Vous êtes juste jalouses que le Père Noël soit mon sugar daddy.

Nous partons d'un fou rire avant de se faire fusiller par les yeux perçants (d'un bleu magnifique) de Miss Jenkins.

Nous reprenons vite notre calme. Même si l'interdiction de rire rend la tâche encore plus difficile.

Esther et Mila sont mes deux amies les plus proches au lycée. Toutes les trois dans la spé comédie musicale, j'adore avoir des amies avec qui partager cette passion et, surtout, qui ont les mêmes références que moi. On est vraiment pas les plus futés, d'où nos blagues assez limites sur une figure de notre enfance, mais on se marre bien ensemble.

Esther, c'est la fashionista qui utilise ses vêtements pour changer de personnalité d'un jour à l'autre. Aujourd'hui, c'est très Rachel Green dans Friends. Elle porte une petite jupe à carreaux avec des chaussettes hautes.

Mila, c'est l'espagnole qui revendique ses origines toutes les trois secondes, au cas où on aurait oublié.

Et moi ? Je suis juste la petite grosse qui aime bien chanter du Mariah Carey même en plein mois de juillet.

Sous Les Feux De La RampeWhere stories live. Discover now