Princess Show

Chapitre 1

Après avoir remonté son écharpe sur mon cou, je me concentre de nouveau sur le bassin devant moi. Cet endroit est magnifique. C'est un cadeau de mon père à ma mère pour leur vingtième anniversaire de mariage. Je me rends souvent dans ce jardin couvert. Il est calme et peu de personnes y vont, surtout à cette heure si matinale. Je donne un dernier coup de crayon à mon dessin et l'observe, pensive. Une peinture serait parfaite pour rendre au mieux cette carpe koï. Mais les odeurs de gouache et d'aquarelle seraient trop présentes et indisposerait mère si elle vient s'y ressourcer. De plus, je ne tiens pas à ce qu'on sache que je dessine ici.

J'entends l'horloge sonner la demie de sept heures. Il est temps que je remonte dans mes appartements. À pas de loup, je remonte au second étage sans croiser qui que ce soit. Je le fais souvent et j'ai trouvé un moyen pour que personne ne sache que je me balade dans le château dès six heures du matin.

J'entre dans ma chambre sans faire de bruit et soupire. Parfait. Personne ne m'a vue. Enfin, ça, c'est ce que je pense avant de me retourner. Sophie est là, les bras croisés sur la poitrine.

– Mais enfin, Lila, tu étais passée où, je te cherche depuis une demie-heure ! Tu devrais être sur le point de partir !

Sophie est ma suivante, elle est près de moi depuis mes dix ans. Mais elle est devenue bien plus que cela. Aujourd'hui, elle est ma meilleure amie. Je la considère comme ma sœur. Sa mère travaille aussi au château et depuis peu, elle est rémunérée pour les petites tâches quotidiennes qu'elle fait pour moi. Comme à présent, avoir sorti mon uniforme scolaire ou me brosser les cheveux.

– Sophie, je ne commence qu'à neuf heures aujourd'hui. Je te l'ai dit hier, non ?

À son regard, je comprends que j'ai encore été tête en l'air. Elle souffle et me sourit.

– Tu es pas croyable. Tu dois être la seule Princesse du monde a te balader dans le château pieds nus, en pyjama avec une écharpe autour du cou.

Je m'esclaffe. Elle et moi savons toutes les deux que je n'ai de Princesse que le titre. N'étant pas l'aînée, je ne peux prétendre au titre de Reine et je fais donc ce que je souhaite. Comme faire une faculté d'Art. Mes parents sont assez souples avec mon éducation, alors que mon frère subit chaque jours des cours strictement millimétrés à la seconde près.

Je m'installe devant mon miroir et prend la carte de notre Royaume pendant que Sophie me natte les cheveux. Iléa est un tout petit Royaume entre la France et l'Italie. Il est à peine plus petit que le Luxembourg. Nous sommes une Monarchie constitutionnelle et mon père écoute énormément ses ministres et ses sujets. Par exemple, depuis peu, l'uniforme scolaire est obligatoire dans tous les établissements scolaires Iléens, suite à la demande de certaines mères de famille. Notre petit pays est prospère mais beaucoup de nos sujets sont des personnes aux moyens très modérés. Et les enfants sont souvent bousculés quand ils ne portent pas de marques, pas de vêtements de bonne qualité. Du coup, l'uniforme est imposé et gratuit pour les personnes au capital financier limité.

Sophie finit de natter mes cheveux. J'enfile rapidement mon uniforme. Dans notre université, il est bleu nuit et argent. Les demoiselle ont le choix entre la jupe et le pantalon. Vu le temps froid actuel, ce sera pantalon pour moi aujourd'hui. Ça faisait longtemps que nous n'avions pas eu une fin d'automne si glaciale. L'hiver sera rude cette année, malgré un été assez pluvieux.

Je lisse ma veste et jette un coup d'œil dans le miroir. Sophie s'avance vers la porte de ma chambre.

– Je vais chercher ton petit-déjeuner ?

Je n'ai pas le temps de répondre que trois grands coups sont donnés sur la porte. Cela me fait sursauter. Je regarde mon amie qui ouvre. Un des gardes de mon père s'avance dans ma chambre et s'incline devant moi.

– Mademoiselle, le Roi Philippe souhaite vous voir immédiatement dans son bureau. Il vous demande de ne pas traîner, c'est urgent.

Il claque les talons, s'incline à nouveau et sort de mes appartements. Je me lève et fixe mon amie, qui semble aussi interdite que moi ! Il est rare que mon père me convoque, encore plus à cette heure ! Le voir en tête à tête une fois par mois lui suffit amplement d'habitude. Je me lève et soupire. Je fais signe à mon amie de me suivre et nous sortons de ma chambre.

Le bureau de mon père se trouve au troisième étage, près des appartements de mes Parents. Deux gardes sont à l'entrée et s'inclinent à mon passage avant d'ouvrir la porte et m'annoncer. J'entre ensuite et m'incline devant mon père qui me fait signe d'avancer. Son attitude tendue et raide me font tiquer. Nos entrevues sont très détendue d'ordinaire. Je n'ai rien à me reprocher pourtant. Mis à part mes allées et venues tôt le matin, je suis plutôt calme. Je ne sais quoi penser. Je prends place face à lui, Sophie se place respectueusement derrière moi, la tête baissée.

– Ma fille, je suis navré de te faire ainsi venir de bon matin. Hélas, la situation l'exige. Nous vivons un drame sans précédent et je dois prendre les décisions qui s'impose.

Je fronce les sourcils. Je n'aime pas le ton qu'il a pris, cela n'annonce rien de bon. Cependant, je ne lui demande rien. Ce serait mal venu de ma part, je le sais. On ne coupe pas le Roi quand il parle, cela vaut aussi pour ses enfants. On ne pose pas de questions non plus, l'étiquette ne le permet pas. J'ai bien appris mes leçons.

– Ton frère aîné a laissé une lettre pour nous cette nuit. Je sais que tu étais proche de lui. Connaissais-tu ses intentions ?

Je secoue la tête, un peu surprise. Marc est très pris par ses travaux de Prince Héritier, et nous nous voyons peu. Mais il prend souvent sur son temps libre pour venir me parler. Il est vrai que c'était de moins en moins fréquent ces derniers temps. Je mettais cela sur le compte des charges qui lui incombe. Pourquoi tout ce mystère ?

– Je ne suis pas si étonné qu'il ne t'en ait pas parlé. Ton frère est parti dans la nuit. Il a fui le château et sans doute le pays avec une jeune femme dont il est amoureux. Il abandonne par cet acte et ses écrits son droit à la succession royale. Ce qui signifie, mon enfant, que cette couronne te revient. Tu es, dès à présent, la Princesse Héritière du Royaume d'Iléa.