A minuit passé, je rentrai chez moi et me couchai. Mais cette nuit-là fut bien mauvaise. J'étais agité par des cauchemars. Je revoyais ma mère, mon père, et même mon frère... sans oublier le chasseur et...moi. Je me revoyais, debout, pendant que ma mère me demandait pour la énième fois pourquoi j'avais tué mon frère... et puis je me voyais, en colère, pendant que ma mère tentait de me jeter une assiette, espérant sans doute qu'elle se brise sur ma tête. Mais j'avais un bouclier, un bouclier noir, comme les vapeurs d'un repas chaud. Il semblait s'agrandir à chaque fois que je criai à ma mère que je la détestais, et que je ne voulais plus la voir. C'était un bouclier de haine, un bouclier constitué d'une haine bouillonnante, et dévastatrice.
Le lendemain matin, à l'aube, j'étais debout. J'avais préféré sortir au plus vite de cette nuit épouvantable. Je m'habillai simplement pour marcher un peu, seul.
Ah, depuis combien de temps ne m'étais-je pas retrouvé seul, seul avec mes pensées ? Sans doute depuis mon arrivée dans cette ville, si différente de ma petite campagne tranquille. Londres était comme une grande machine à vapeur, et tous les gens que l'on voyait dans les rues, dans les ateliers, et dans tous les recoins l'alimentaient.
Perdu dans mes pensées, je ne remarquai pas que j'étais perdu. Je marchais, encore et encore, comme si je voulais atteindre le bout du monde. Mais, jetant un coup d'œil en arrière, pour une raison quelconque, j'aperçus une ombre noire se faufiler derrière un immeuble. Etrange. Bientôt, alors que je n'avais fait que quelques pas, je crus apercevoir cette ombre de nouveau, mais cette fois-ci, devant moi ! Inquiet, j'agrippai ma bourse, pensant que des voleurs l'avaient entendue tinter pendant que je marchais, et que c'était l'objet de leur convoitise. Mais une autre ombre passa, entraperçue par mon œil gauche, pendant qu'une autre passait sur mon côté droit. Ce n'étaient pas des voleurs. J'en avais la certitude. Mais quoi ou qui qu'ils soient, ils se rapprochaient.
Quatre créatures hautes, noires et menaçantes tournaient autour de moi. Elles excitaient ma peur, mais ma haine bien plus encore. Alors que je serrais les poings, elles tournaient de plus en plus vite. Si vite qu'à un moment, elles ne furent plus qu'un seul ensemble à vouloir me détruire.
Ce cercle noir devenant fumée était un épouvantable spectacle. Il me rappelait mon rêve. Mon rêve prenait vie. Dans un autre contexte, il prenait vie. Alors je cherchais désespérément à penser à quelque chose d'autre que ma haine, mais elle occupait tout mon esprit, et toute mon âme. C'était la seule chose qu'il y avait en moi, et ce cercle de fumée semblait s'en nourrir. Bientôt, il me toucha, commença à envelopper mes jambes, puis remonta sur ma taille. Une enveloppe noire montait, montait encore, voulait m'aspirer, aspirer toute ma vie !
Non ! Je tentai de me débattre, mais tous mes efforts furent vains. Je me battais avec ma haine, et cette bête féroce se nourrissait de ce sentiment.
Bientôt, il atteint ma poitrine, et mon cœur sembla se serrer. Il devenait noir, et se débattait. C'était bientôt fini. Alors que ce torrent de haine enveloppait ma tête et semblait pénétrer mon âme, je tentai une dernière fois de penser à quelque chose de joyeux, mais rien. Rien que de la haine, encore et pour l'éternité. La dernière chose que je vis fut ma mère, en train de me maudire. Puis, ce fut le noir complet.